Cent ans pour vivre et mourir.

Par Camille Sainson, journaliste collaboratrice

« Je connais déjà tout ça par cœur, s’écriait Ursula. C’est comme si le temps tournait en rond et que nous étions revenus au tout début. »

La famille Buendia est condamnée. Condamnée à cent ans de solitude. Un siècle, 36 500 jours, coincée dans le petit village de Macondo. Un siècle d’errance, d’amour, de haine, de guerre aussi. Ritournelle éternelle où chaque personnage semble déterminé à répéter les mêmes erreurs que ses ancêtres. L’évolution est impossible, le cercle finira sa course là où tout a commencé, entre naissance et mort il n’y a qu’un pas. Gabriel García Márquez nous propose l’histoire d’une lignée, d’hommes et de femmes liés par le sang, par le nom, par les prénoms également. S’il est parfois difficile de s’y retrouver parmi la multitude des José Arcadio et des Auréliano qui envahissent les pages, nous nous apercevons que ce n’est pas tant leurs histoires individuelles qui importent, mais celle de la famille dans son entièreté. L’action de chacun à une répercussion directe sur l’environnement, sur le futur des autres, et pourtant, quoi qu’ils fassent, la solitude les prendra un à un. Alors que le monde extérieur évolue, que le village se transforme et entre dans l’ère moderne, les Buendia semblent vivre hors du temps, dans une bulle magique et surnaturelle, où des femmes peuvent disparaître en s’envolant dans le ciel, où des hommes peuvent devenir invisibles aux yeux des autres, mais où tous finissent désespérés, seuls et incompris. Ursula, la mère de famille, est la seule à voir clair dans le jeu du temps, à comprendre que l’histoire se répète inlassablement. Peut-être parce qu’elle sera celle qui vivra le plus longtemps et assistera à la ruine de sa famille qu’elle s’est tant évertuée à protéger. 

« La nonchalance des gens contrastait avec la voracité de l’oubli qui, peu à peu, rongeait impitoyablement les souvenirs »

Au-delà de la solitude qui entoure tous nos personnages, c’est l’oubli qui semble dévorer les âmes et imposer la répétition des erreurs humaines. C’est parce que les générations ne se souviennent pas des massacres commis qu’elles s’évertuent à les réitérer. De la même manière qu’Ursula se voit prophétiser la naissance d’un enfant à queue de cochon pour avoir eu des rapports avec un membre de sa famille, ce ne sera que bien des années plus tard que celui-ci naîtra, dernier enfant de la lignée, incarnation de tous les amours maudits de ses ancêtres. Son sort clôture le livre, il emporte dans la tombe le nom des Buendia, il fait table rase du passé. L’oubli deviendra chose commune à Macondo, les souvenirs transmis de génération en génération s’éteindront lentement, la mémoire sera sujette au passage du temps. Légère trace de pas effacée par le vent, tel est le passage sur Terre de nos personnages. Un simple moment éphémère. 

« Nous n’avons pas encore eu de mort, répliqua-t-il. On n’est nulle part tant qu’on n’a pas un mort dessous la Terre. »

Finalement tous enterrés à Macondo, les Buendia laissent derrière eux une maison vide aux murs enfin silencieux, une cour désormais sans vie, sans musique, un arbre délesté de ses chaînes, des chambres abandonnées à la poussière. Mais les fantômes continuent d’errer dans ces couloirs désertés, ils seront toujours ce dernier écho d’un passé, d’un héritage, de ces cent ans de solitude durant lesquels ils ont aimé, ont bâti des empires de richesse, ont tué, se sont révoltés, pendant lesquels ils ont existé, tout simplement. 

Gabriel García Márquez signe une œuvre majeure, un voyage dans une Amérique du Sud où le temps avance lentement, où les âmes se rencontrent et se heurtent, où l’éternité n’est plus un lointain concept, mais une étrange réalité. 

Crédits photo :  Lithub

 

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