Photo par Léonie Faucher

Les archivistes : évaluateurs.trices de l’histoire

Souvent oublié.es ou vu.es comme des êtres craignant la lumière et se logeant dans des sous-sols, les archivistes effectuent un travail essentiel pour nos sociétés. Véritable science historique, l’archivistique est un vaste domaine réunissant des adeptes de plusieurs secteurs : des sciences, au droit, au cinéma, à la littérature, à l’histoire… La question pour eux est : comment évaluer l’histoire pour mieux préserver l’indispensable?

Par Léonie Faucher, rédactrice en chef

Photo par Léonie Faucher. Arrêté en conseil (décret no 1712) concernant la nomination de Pierre-G. Roy, 2 septembre 1920.
L’histoire des archives au Québec

Cette année, les Archives nationales du Québec fêtent leur 100e anniversaire de création. C’est le 2 septembre 1920 que Louis-Alexandre Taschereau a confié à Pierre-Georges Roy le mandat de conservation du patrimoine documentaire des archives relatives au Québec. Premier archiviste de notre histoire, Monsieur Roy a rempli sa mission vu le nombre de documents conservés aux Archives nationales du Québec cent ans plus tard.

Photo par Léonie Faucher. Pierre-Georges Roy, ainsi que sa signature

« Je ne me dissimule pas la responsabilité que le gouvernement de la Province a mise sur mes épaules en me confiant […] le soin de ses archives historiques. En effet, de l’aveu de tous les connaisseurs, ces archives sont les plus précieuses de tout le pays . » – Pierre-Georges Roy

Photo par Léonie Faucher. Entrée du local Archives de la Province au Musée du Québec, sa première localisation.

En 1970, tous les documents des ministères et organismes du gouvernement québécois qui n’étaient plus d’actualité dans l’administration présente ont été remis aux Archives nationales du Québec. Avec cette augmentation des versements d’archives gouvernementales, un nouveau centre fut construit pour supporter cette abondance. C’est ainsi que le Grand Séminaire de Québec, situé sur le campus de l’Université Laval (aujourd’hui appelé Le Casault), a accueilli la BAnQ de Québec.

Photo par Léonie Faucher. À gauche Sophie Côté, archiviste à BAnQ Québec, au centre Nathalie Vaillancourt, archiviste à BAnQ Québec et à droite Rénald Légaré, archiviste-coordonnateur à BAnQ Québec.
Présentation du travail des archivistes

Les archivistes ou mémorialistes de haut niveau traitent des documents reliés à la vie religieuse et artistique, aux aventures politiques et militaires, aux sports et loisirs, aux métiers, aux personnalités connues, à la vie quotidienne du peuple, aux généalogies. Bref, à tous les aspects de la vie humaine. Les qualités requises, selon Nathalie Vaillancourt :

  • – Passion
  • – Curiosité
  • – Patience
  • – Collaboration

Rénald Légaré : « Oui, la collaboration! Moi, je travaille plus dans les documents textuels, dans la période ancienne, Nathalie plus sur le non-textuel et Sophie, plus sur le numérique. Alors, on a chacun à s’apprendre des choses et il n’y a pas de limite à apprendre. »

« Si l’on porte des sarraus ce n’est pas parce que l’on veut ressembler à des médecins, c’est parce que les vieilles reliures sont salissantes. Les allées ne sont pas larges, juste assez pour passer un chariot, alors des fois on s’accroche sur les bords d’ouvrages. » – Nathalie Vaillancourt

Photo par Léonie Faucher. Photo d’archives
L’évaluation au coeur du métier

Dans le métier des archivistes, l’évaluation joue un rôle clé. Tous les documents ne peuvent pas être conservés, car ils n’ont pas tous une valeur de conservation. En effet, l’archiviste reçoit des versements de matériel qu’il doit traiter en fonction de leur intérêt pour l’histoire ou pour la recherche future. Aussi, lorsque le matériel n’a pas été contextualisé, l’archiviste doit reconstituer le contexte de production. Par exemple, le lieu, l’année, pourquoi il a été produit, et ce, afin de bien le classer.
Sophie Côté : « C’est certain qu’on s’appuie sur des critères que l’on souhaite les plus objectifs possible. Il y a tout un courant en archivistique sur la façon d’évaluer l’information produite. On reçoit des documents des villes, des ministères, mais aussi du secteur privé, quand on acquiert des archives privées de grandes familles. On s’appuie sur des critères pour faire l’évaluation. C’est ce qui fait qu’en bout de ligne, on conserve 5 à 10 pourcent, si on pense au secteur public, de ce qui est créé.
C’est un peu hasardeux d’essayer de deviner quels seront les besoins des chercheurs dans trente ans. On peut y aller dans ce sens-là, mais jusqu’à un certain point sinon ça devient un peu embêtant. Donc, c’est aussi toute la question du contexte de création. Comment ils sont créés? Pour quelles raisons? Est-ce que c’est vraiment l’originale, y a-til d’autres copies? »

« Ce qui est intéressant aux archives nationales, je trouve, c’est que nous avons vraiment cette vision d’ensemble de la société. Donc, on peut faire des liens entre les tribunaux, la Société du Québec ou le Ministère. On peut voir le processus d’ensemble de comment l’information se crée. C’est important, parce que l’on crée la mémoire du futur!» – Sophie Côté

Photo par Léonie Faucher. Magasin dans lequel les archives sont stockées et numérotées pour les retrouver facilement.

Bien entendu, c’est tout un art d’évaluer objectivement le contenu reçu. Parfois, les décisions sont difficiles à prendre, car il est impossible de prévoir parfaitement ce qui aura de l’importance dans le futur. Nathalie Vaillancourt commente l’importance de l’évaluation : « D’ailleurs, l’évaluation c’est tout un sujet, parce qu’à L’université Laval dans le certificat en archivistique, il y a un cours complet sur l’évaluation. »
Rénald Légaré : « Je vais te donner un exemple avec toi. Un mémo disant à ton collègue de te rappeler. Est-ce que ça mérite d’être conservé pour des siècles à venir? Peut-être pas. Alors, qu’est-ce qui mérite d’être conservé pour avoir une trace de ce que tu es? Sur les milliers de photos que tu as prises dans ta vie, il y a sûrement moyen de ramener ça à une centaine, suffit d’évaluer les plus pertinentes. »

Les enjeux du numérique

Sophie Côté : « Un des enjeux du numérique, c’est que les technologies changent la façon de créer l’information. L’accent est beaucoup mis sur la diffusion avec les partages sur les réseaux sociaux. C’est excellent pour partager de l’information, travailler en collaboration ou créer des liens avec n’importe qui dans le monde, ça relie les frontières.
Cependant, ça amène des défis pour nous, car les copies sont multipliées et si on le pense en terme numérique, c’est la qualité qui diminue. Parce que si on veut les diffuser rapidement, les fichiers sont moins lourds et donc de moins bonnes qualités. Ça a un impact sur la conservation à la fin du processus, sans qu’on y pense au quotidien.

Photo par Léonie Faucher. Microfilm utilisé pour stocker de l’information. Une machine spéciale est nécessaire pour les lire et les numériser.

D’ailleurs, nous avons dû créer le laboratoire des archéologies numériques. Nous avons un fond d’archives privé regroupant plusieurs supports que l’on dit analogiques dans notre jargon, comme des vieilles cassettes. À BAnQ Montréal, il y a une unité qui conserve des vieilles machines, c’est son rôle, pour nous permettre de lire ces documents-là ou de les numériser pour ne pas les perdre. »
Rénald Légaré : « Je reviens à mon exemple. Tu vas peut-être avoir mille photos que tu proposes de nous léguer qui auront plus de valeur que cent mille photos que quelqu’un d’autre veut nous donner. Parce que toi, tu vas avoir pris la peine de les identifier, de noter le contexte de création des photos. Cette connaissance métadonnée qui s’attache à un document, ça lui donne de la valeur aussi. Ton intervention peut ajouter de la valeur au produit final et rendre intéressant ce matériel-là, car c’est toi la mieux placée pour décrire ton matériel. Si tu me donnes la photo du rosier de ton grand-père. Moi, je vais noter que c’est un rosier, c’est tout, à la limite la date griffonnée à l’arrière. Si tu ne l’as pas noté, je ne peux pas savoir qu’avec ce rosier-là ton grand-père a gagné un prix par exemple. C’est une grosse partie de notre travail, de remettre en contexte ce que l’on reçoit. »
« Aussi, quand on manipule les documents numériques, quand on fait le transfert, ça modifie les métadonnées, ça vient dégrader le document. Que ce soit numérique ou papier, les principes en arrière restent pareils même si le support change. Avec le numérique, l’appareil photo peut dire c’est quoi la focale, l’année, la date, mais il ne sait pas plus que c’est le rosier avec lequel Grand-papa a gagné un prix. Dans les deux cas, les renseignements et le contexte sont primordiaux. » – Nathalie Vaillancourt

Différences entre informatique et archives

Les évolutions numériques amènent beaucoup de collaboration entre le personnel de l’informatique et le personnel de l’archivistique. En effet, de plus en plus d’informations sont créées par le biais d’Internet et de logiciels.
Sophie Côté : « C’est important de connaître les rôles de tous et chacun dans le domaine. Nos collègues de l’informatique sont les meilleurs pour tout ce qui est support, format et logiciel. Cependant, pour ce qui est d’organiser le contenu, de mettre du contexte, d’évaluer, c’est plus le rôle des archivistes. On se complète bien.
L’information peut changer de support, mais il faut s’assurer qu’elle demeure intègre et authentique. C’est pour ça qu’on parle de plus en plus de gestion de l’information plutôt que de gestion documentaire.»
Nathalie Vaillancourt : « Souvent dans les entreprises, ils se disent que puisque c’est des documents numériques, ils ont besoin d’un spécialiste des technologies de l’information. Mais non, parce que lui il s’occupe de la mécanique du fichier et de comment le conserver. Cependant, ton spécialiste de l’information, qui est un archiviste, lui, il va s’occuper du contenu. Notre travail est encore très pertinent même si on s’en va vers le numérique. »

Photo par Léonie Faucher. Plan d’assurances-incendies de la ville de Québec, Volume 1 de la ville de Québec figurent les numéros civiques, les bâtiments, les rues, les industries et l’emplacement de Canadian Import Co. Ltd, Shawinigan Water & Power Co. et Anglo-Canadian Pulp and Paper Mills Ltd. De plus, nous y retrouvons le tracé des rivières Saint-Charles et Lairet, du bassin Louise, des ruisseaux Saint-Michel et de la Cabane aux Taupières et d’une partie du fleuve SaintLaurent. Le repérage de l’endroit recherché est facilité par un plan d’ensemble et un index des rues. Une légende donne la signification des couleurs et des symboles utilisés. (description de la BAnQ de Québec).
Une adresse utile à connaître pour la recherche et les travaux

Dans le cas de plusieurs travaux de recherche, les archives sont une base de données primordiales. Plusieurs enseignants.es. de l’Université Laval rappellent que la BAnQ existe et aide à la recherche d’informations de leurs étudiants.es. En effet, le couplage de sources donne une vue d’ensemble sur une question ; ce qu’en disent le Ministère, les tribunaux, les journaux, etc. Par exemple, dans les domaines de la construction, les plans d’assurance-incendies fournissent énormément d’informations sur les différents quartiers.
Nathalie Vaillancourt : « Il y a plusieurs détails au niveau des bâtiments, de la conception, si c’est fait en bois, en pierre, etc. C’est des documents qui ne sont plus produits, mais qui sont très utilisés par les urbanistes. Maintenant, il n’y a pas une semaine qui passe sans que l’on ait une demande pour un plan. Il y en a beaucoup qui sont numérisés et dans nos collections. Par exemple, s’il y a du mazout sur ce terrain-là, les urbanistes vont peut-être hésiter à prendre celui-là, car ils sont obligés de faire la décontamination du sol ce qui amène des coûts plus élevés. Pour le côté plus historique, c’est plaisant de savoir qui restait à côté de qui comme on le faisait avec les annuaires. »

Quel est le rôle des archives?

Trois rôles ont été identifiés par monsieur Légaré : le rôle de diffuseur, de mémoire et de légalité.
Rénald Légaré : « Un des enjeux importants pour nous, c’est la question de l’accès aux documents. Est-ce qu’il y a des informations sensibles ou des renseignements importants pour la sécurité de l’État? Un des dossiers qui a été le plus fermé c’est le Churchill Falls. Pendant longtemps tout ce qui avait un lien était confidentiel, car le dossier était encore actif en cour. On ne pouvait pas fournir à la partie adverse des informations. Il faut que l’on identifie ce qui doit être restreint ou pas. Autre chose, c’est très subjectif.
Nous avons une position pro-favorable à la diffusion, car c’est notre rôle. Cependant, la loi nous impose des obligations. Donc, on est constamment tiraillé entre le droit à l’oubli et le droit de savoir.

Photo par Léonie Faucher. La voûte. Les documents très anciens sont conservés ici. La température est climatisée pour aider à la préservation. Certains documents comme des bobines de films sont conservés dans le «congélateur» pour favoriser la préservation à long terme.

Ensuite, il y a un rôle de mémoire. Mémoire d’individu, d’une région, d’une nation servent à créer un sentiment d’appartenance. Donc, les archives ont un rôle au niveau de la cohésion sociale, de se sentir membre d’une communauté.
Finalement, le rôle légal. Souvent les gens vont nous demander des documents très anciens, car ils ont encore une valeur légale pour défendre des droits. Durant la pandémie, on fournissait des actes de directeur civil, parce qu’il y avait des droits qui étaient en jeu. Dans une société démocratique, il faut qu’il y ait une transparence au niveau de l’administration. Conserver les archives, c’est conserver des traces des gestes posés par le gouvernement et de leurs motivations. Ça rend ces gens-là imputables en donnant une possibilité de retour en arrière pour comprendre ce qui s’est passé. »

« Environ soixante-dix pourcent des gens qui font appel à nous sont des citoyens ordinaires, que ce soit pour leur généalogie ou par curiosité. » – Rénald Légaré

Photo par Léonie Faucher. Lettres patentes d’amortissement des terres de Jésuites (avec le sceau de cire), 1678.
Un beau document d’archives

Rénald Légaré : « Le document est signé Louis, il n’y a pas de nom de famille, parce que c’est Louis XIV, tout le monde savait qui était ce Louis. Signé par le roi, quoique sûrement signé par un homme de plume, contresigné par Colbert, ministre responsable de la marine et signé par le greffier du Conseil souverain.
L’intérêt est que le document est en bon état et les signatures lui donnent une valeur symbolique. Quand on pense à un document d’Archives, c’est un peu à ce genre de vieux document que l’on pense. Le sceau est intact, encore attaché au document ce qui est exceptionnel, souvent il est détaché ou cassé.
Est-ce que ce document-là a encore une valeur légale? Non, le régime seigneurial a été aboli, les biens des Jésuites sont passés aux mains du gouvernement. Comme tel, sa valeur est historique, mais surtout symbolique. Ce n’est pas un document que les gens vont nous demander pour passer en cour. »

« Nous recevons environ un ou deux kilomètres d’archives par année. Nous n’avons pas le temps de tout lire. Nous on considère que nos vingt-six kilomètres d’archives doivent être conservés. » – Rénald Légaré

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