LE JOURNALISME à l’ère du numérique : des défis et des outils pour informer

Le journalisme s’est adapté aux différentes époques et aux défis rencontrés. Thierry Watine et Dominique Payette, anciens journalistes et actuellement professeurs de journalisme au
Département d’information et de communication de l’Université Laval, font le point sur les transformations engendrées par le numérique dans ce domaine.

Par Mélissa Gaudreault, journaliste collaboratrice

La démarche journalistique

Il y a d’abord eu des changements sur le plan des conditions de travail des journalistes. Le plus gros défi amené par le numérique est l’augmentation de la vitesse de production qui apporte de multiples conséquences sur le plan de la qualité de l’information. Comme le mentionne Dominique Payette, la hausse de la vitesse d’exécution fait en sorte que les articles sont plus superficiels, qu’il y a un plus grand risque de faire des erreurs. À l’ère du numérique, ce sont les valeurs commerciales, c’est-à-dire de produire plus de reportages dans un laps de temps plus court, qui prône sur les valeurs journalistiques traditionnelles. Les nouvelles technologies permettent de travailler plus vite et en continu, mais le journaliste doit tout de même vérifier ce qu’il écrit avant de le publier, dit-elle. Les journalistes doivent aussi adapter leur contenu aux nouvelles plateformes afin de se plier aux nouvelles habitudes de consommation d’informations des citoyens, d’après Thierry Watine. Le métier de journaliste reste néanmoins important dans la société, surtout dans un contexte de pandémie. Les citoyens ont besoin de s’informer et il n’y que les journalistes qui peuvent endosser ce rôle de communicateur, selon lui.

Le processus de collecte et de vérification de l’information s’est également transformé avec l’essor d’Internet. Contrairement à l’époque du journalisme dit traditionnel qui se résumait aux journaux, à la radio et à la télévision, le journaliste d’aujourd’hui fait moins de recherches pour trouver l’information dont il a besoin. En effet, il y a plus de banques de données qu’avant et les journalistes n’ont qu’à se servir. M. Watine compare cela à faire ses courses dans un supermarché : on entre, on parcourt les rayons, on prend ce dont on a besoin et on ressort. La différence entre avant et maintenant est que le supermarché était plus petit avant les années 1980 environ et a pris de l’expansion depuis ce temps : il y a plus de données disponibles, mais en même temps les journalistes se noient dans cet océan d’informations. Ils doivent faire des choix, car ils ne peuvent pas tout prendre. Il y a aussi des défis sur le plan de la qualité de l’information. On ne sait pas toujours d’où provient une information, donc on peut se questionner sur sa fiabilité et sa crédibilité, déclare-t-il. Mme Payette affirme que l’augmentation de la vitesse de production peut diminuer la qualité de l’information puisque les journalistes ont moins de temps pour vérifier leurs informations afin de publier. De surcroît, il est à la fois plus facile et plus difficile de trouver des interlocuteurs pour faire un reportage. D’un côté, on peut trouver facilement et rapidement des gens à interviewer avec Internet et de l’autre, les gens sont moins enclins à parler aux journalistes à notre époque, car ces derniers sont souvent plus agressifs et il y a plus de risques de subir des conséquences pour leur avoir parlé, énonce-t-elle. 

D’après ses connaissances et son expérience, Dominique Payette pense que les tâches sont restées les mêmes, mais elles peuvent être moins bien exécutées, voire même ne pas être respectées. Cela s’explique principalement par le fait que les journalistes doivent produire plus de contenu en moins de temps, donc ils ont moins de temps pour réviser ce qu’ils produisent et il y a plus de chances qu’ils commettent des erreurs. Il est cependant primordial de garder en tête la recherche de vérité et les valeurs fondamentales du journalisme comme la vérification des faits, l’honnêteté et l’intégrité. Thierry Watine est d’avis que le journaliste est passé de mono-tâche à multitâche, devant produire plus de contenu et ce sur différentes plateformes, ce qui l’oblige à s’adapter et à être plus productif. La plus grosse transformation s’est produite sur le plan du travail de terrain qui est plutôt devenu un travail de salon. Il est ainsi essentiel que les journalistes fassent bien leur travail, pour eux-mêmes et pour les citoyens qui ont besoin de s’informer auprès de sources fiables, s’exprime-t-il.

Le travail du journaliste

Les journées de travail maintenant sont très différentes de ce qu’elles étaient. « À l’époque, on avait du temps, on se concentrait sur un sujet principal », explique M. Watine. Les journalistes n’ont plus besoin de se déplacer autant pour faire des reportages; ils peuvent les faire de la maison. Cela permet de gagner du temps et d’être plus productif, mais le rythme effréné peut amener une baisse de la qualité de l’information. Selon lui, il est nécessaire de « [doser] l’utilisation des nouveaux outils qui nous font gagner du temps [en ayant] le pied sur le frein pour ralentir un peu la cadence » et vérifier ce que l’on écrit avant de le publier. Les journalistes d’aujourd’hui sont plus fatigués, car ils doivent produire plusieurs reportages simultanément en moins de temps. Ils courent après la nouvelle, ils sont présents partout et sur toutes les plateformes, affirme Mme Payette. Ils ont moins de temps pour réfléchir avant de rédiger leurs textes avec le numérique, ce qui peut nuire à leur travail. Ils ont la lourde tâche de mettre en contexte et d’expliquer le monde et la société aux citoyens de manière simple, dit-elle, en compétitionnant avec le flux d’information produites et diffusées sur les médias sociaux qui ne sont pas toujours fiables.

Le travail de terrain, qui est au cœur du métier de journaliste, a un peu changé avec le numérique. Dominique Payette croit que le travail de terrain est important et ne devrait pas avoir changé : « je ne serai pas sûre de ce dont je parle, tant que je ne serai pas allée voir par moi-même ». Ainsi, on ne peut pas attester de la réalité sans être allé sur le terrain. « Le numérique donne l’impression que l’on est sur place, mais ce n’est pas comme si on y était, ce n’est qu’une illusion ». Certains pourraient penser qu’ils n’ont pas besoin d’y aller, mais s’ils ne le font pas ils ne respectent pas les valeurs fondamentales du journalisme et la recherche de vérité et ils ne pourront pas se défaire de leurs préjugés, souligne-t-elle. Thierry Watine est aussi de cet avis, car on ne peut pas faire du travail de terrain en direct de son salon, c’est-à-dire sans se déplacer sur les lieux et sans interroger les gens. Le travail de terrain doit être revalorisé. « Une entrevue n’est jamais aussi bonne que quand elle est faite entre quatre yeux ». Il faut réintégrer l’aspect humain dans la relation des journalistes avec leurs sources. Le contexte dans lequel nous vivons actuellement nous incite à délaisser le travail de terrain, évoque-t-il.

La valeur du métier

Il n’y a pas eu de grandes transformations dans les règles de déontologie. « Globalement, les règles de déontologie n’ont pas changé », déclare M. Watine. Ce sont plutôt les outils et les pratiques professionnelles qui ont changé. Par contre, il est plus difficile avec le numérique de respecter les règles, car ce ne sont pas les mêmes codes et formats. Il faudrait donc adapter les codes de déontologie au numérique, dit-il. Par exemple, la différence entre ce que l’on peut publier ou non est mince et les sources sont parfois difficiles à identifier, ce qui peut amener les citoyens à questionner la validité de l’information. Les règles fondamentales sont restées les mêmes (ex. : intégrité, ne pas être relationniste, aucune appartenance politique, etc.), débute Mme Payette, mais elles ont été modifiées pour être plus simples à comprendre et à respecter. Elles sont peut-être moins bien respectées cependant à l’ère du numérique, notamment en raison de l’augmentation de la vitesse de production mentionnée précédemment, précise-t-elle.

L’une des choses qui donne une crédibilité aux journalistes est leur statut professionnel. Au Québec et même partout en Amérique du Nord, il n’existe pas de statut pour les journalistes, explique Dominique Payette. Il n’y a donc rien qui puisse théoriquement distinguer les journalistes des citoyens-journalistes. Les gens peuvent ainsi questionner l’autorité et le « caractère élitiste de la profession », dit-elle. Le métier de journaliste est pourtant très important et même indispensable à la société. Thierry Watine ajoute qu’il est essentiel d’avoir une reconnaissance du métier, principalement en raison des citoyens qui se croient journalistes comme le dit M. Payette. En effet, avec les médias sociaux, tout le monde peut publier ce qu’il veut et tout le monde peut jouer au journaliste. Il est alors nécessaire d’avoir une façon d’identifier les vrais journalistes pour savoir à qui l’on peut se fier, selon lui. Il est d’autant plus important de revaloriser la profession et de donner accès aux citoyens à de l’information fiable et de qualité à l’ère de la désinformation et surtout dans un contexte de pandémie comme celui que nous vivons en ce moment.

 

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