Décider de partir

Par François R. Pouliot, journaliste collaborateur

T’as décidé de partir. 

Ça fait une semaine. Deux semaines. Un mois. 

Tu remarques le passage du temps depuis ton départ, mais avec l’espèce de sentiment bizarre de compter dans le négatif, de voir les choses évoluer dans l’Upside Down de l’émission Stranger Things

Ça fait maintenant six mois. Un an. 

Sans trop y penser – ou en y pensant trop, peut-être – tu regardes le chemin que t’as parcouru et tout ce que t’as accompli depuis le moment où t’as dit «ça suffit».

Et maintenant ça te parait évident que le monde à l’envers, celui où il fait froid et où ça sent mauvais, c’est celui dans lequel tu te contraignais à vivre avant de partir. 

Ça te rassure, ça t’apaise, même, de savoir que le temps d’avant, c’était le temps d’avant, comme disait Céline Dion, euh, Jean-Jacques Goldman.

Plus il y a de temps qui te sépare de ton départ, et, étrangement, plus tu mesures le caractère malsain, voire toxique, dudit temps d’avant. Tu prends du recul, c’est bon signe.

Tu te dis que c’est bien mieux maintenant. Que t’es bien mieux ainsi. 

Mais tu veux savoir ce qui est paradoxal, dans tout ça? C’est que, au début surtout, ce feeling arrive sans problème à cohabiter avec un autre : le doute. 

Tu doutes d’avoir pris la bonne décision. Même si t’es content et fier de l’avoir prise, une partie de toi essaie de rationaliser et de se dire que c’était pas si pire, que c’était normal. Tu en viens à te dire que c’est juste toi qui fittais pas, dans le fond.

Tu doutes aussi d’un jour arriver à être ta propre personne en dehors du tout auquel tu faisais partie. Même si tu fittais pas… Paradoxal, je te dis. D’un autre côté, tu savoures ton indépendance comme ça se peut pas.

Tu doutes de tout, en fait. Décider de partir, tu t’en rends compte assez vite, c’est aussi épuisant qu’énergisant.

Décider de partir, c’est accepter que l’univers que t’as décidé de quitter, il n’existe plus. C’est faire le deuil d’habitudes et de réflexes qui ne trouvaient du sens que dans un alignement d’astres bien précis.

S’en aller, c’est aussi faire le deuil de gens extraordinaires, d’amis, de personnes qui, malheureusement, appartiennent à cet univers parallèle duquel tu t’éloignes – pour le mieux, tu verras – de plus en plus.

Parce que décider de partir, pour ceux qui restent, ça peut être perçu comme une forme de trahison. 

C’est triste – vraiment – mais c’est comme ça. Il faut apprendre à vivre avec. Ou sans.

Malgré tout, après une semaine, deux semaines, un mois, six mois, un an – c’est différent pour tout le monde qui passe par là –, tu recommences à compter avec des nombres positifs. Tu te remets à conjuguer au futur au lieu d’essayer de tout accorder au passé. 

Tu réapprends à définir où se trouvent tes vraies limites et à cerner les désirs qui sont les tiens pour vrai, ce à quoi t’aspires. Ce qui t’inspire, aussi.

Tu souris plus. Tu t’ouvres plus.

Ça sent bon. Tout goûte meilleur. 

Sans te croire dans un monde de Calinours, tu sais que ça va bien aller parce que t’as remarqué que ça allait mieux, déjà.

À un certain moment, tu vas vouloir repartir la machine et rattraper le temps que t’as l’impression d’avoir perdu.

Mais c’est juste une impression.

Donne-toi le temps. C’est pas un luxe. Écoute-toi.

Surtout, et ça, ça mérite d’être en majuscules : ÉVITE DE TE COMPARER.

Ce que t’as vécu, comment tu te sentais hier, comment tu te sens aujourd’hui, comment tu t’en sors; tout ça, ça t’appartient.

Et tout ça, je te le dis, c’est valide.

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