Deux ans d’exil

Le virus SRAS-CoV-2, responsable de la COVID-19, se propage par des gouttelettes lorsqu’une personne tousse, éternue, parle, chante ou respire. C’est dire que chacun.e de nous est potentiellement le maillond’une chaîne menant à un décès par le seul fait de respirer. Depuis deux ans, la pandémie change profondément les interactions humaines et les rapports que nous entretenons avec les autres. Les confinements successifs ont créé une distance sociale qui rappelle le déracinement de l’exilé.e, de cellui qui rompt volontairement ou non avec son chez-soi.

Par Marilou Fortin-Guay, journaliste collaboratrice

Il y a plusieurs paradoxes dans cette pandémie, comme le fait d’être loin les un.e.s des autres et le besoin criant de réconfort. Il y a aussi lespectre infini des opinions qui expriment la singularité de l’expérience humaine. Les choix de chacun.e sont teintés de préoccupations, decroyances et de valeurs qui viennent à opposer différents groupes. La liberté de penser est un atout pour la démocratie. Elle devient également une raison de diviser et d’assiéger une ville.

Les consignes sanitaires tracent les contours d’une nouvelle normalité. Elles font aussi naître des dualités comme les masques et les anti-masques ou encore les vacciné.e.s et les non-vacciné.e.s. S’il est normal que chacun.e façonne une réponse individuelle à la pandémie en fonction de sa tolérance au risque, de ses croyances, de son degré « d’écoeurantite », la pandémie est fondamentalement une réalité collective.

Insidieusement, on appose des étiquettes qui finissent par déterminer avec qui on passera (ou pas) du temps: l’ami.e qui ne porte plus le masque, la tante qui a reçusa troisième dose, le.a collègue parti.e en voya-ge. Or, il faut se méfier des mots qui trahissent nos appartenances à un groupe sociosanitaire. C’est parce qu’à travers les qualificatifs dans lesquels on se reconnaît ou desquels on se dissocie, on proclame une identité qui fait de nous des adversaires ou des allié.e.s. L’auteur Amin Maalouf écrivait que : « par facilité, nous englobons les gens les plus différents sous le même vocable, par facilité aussi nous leur attribuonsdes crimes, des actes collectifs, des opinions collectives » (Les identités meurtrières, Amin Maalouf).

Nos opinions sur la COVID-19 déterminent donc les combats que nous aurons à mener, celleux qui deviendront nos allié.e.s et les antagonistes que nous tiendrons àl’écart. Nous avons avantage à mettre les gens dans des cases dans les situations où il faut agir rapidement. C’est aussi plus simple que de s’attarder à saisir des opinions à première vue incompréhensibles et qui nous paraissentirréconcilia- bles avec les nôtres. Toutefois, la pensée rapide formule des jugements grossiers et inexacts. Pour cette raison, elle constitue unmode de réflexion aussi efficace que destructeur. Les deux dernières années ont été révélatrices des conséquences de cette manière de penser.Il existe un danger à s’en tenir à des positions adoptées dans l’urgence d’agir en formulant des oppositions binaires et réductrices. L’urgence nepeut justifier de mettre systématiquement fin au dialogue avec celleux qui ont des idées contrai- res, car c’est ainsi que s’amenuise notre capacité à collaborer. Depuis deux ans, les mesures sanitaires nous contraignent dans des bulles et appauvrissent nos liens sociaux. L’isolement facilite le repli sur ses propres convictions et altère notre capacité à considérer d’autres perspectives. Si les idéespeuvent être rejetées sans douleur, les humains, eux, souffrent de l’exil, de la solitude et du fait de demeurer incompris.L’exil laisse quelque part un sentiment d’indignation.

Quand nous serons toustes exilé.e.s sur nos terres d’idées, que restera-t-il de notre tolérance et de notre  capacité à collaborer? Je redoute le moment où nous serons si loin les un.e.s des autres qu’il deviendra impossible de s’entendre, encore moins de s’écouter. Je me questionne sur ce que cette pandémie sème pour l’avenir. Je me demande à quel point elle nous éloigne de l’ouverture d’esprit et de la bienveillance nécessaires pour s’adapter aux défis collectifs qui prendrontde plus en plus de place.

En faisant un pas vers quelqu’un qu’on ne comprend pas, de même qu’en portant attention aux défis auxquels chacun.e a dûfaire face dans les deux derniè- res années, peut-être nous rejoindrons-nous quelque part ? Au fond, se préoccuper de nos semblables ne devrait pas être une idée polarisante.

 

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