Photo par Jessica Dufour

Dualité entre générations, quand le clash prend place

Comme chante Orelsan dans sa chanson Basique, « toutes les générations disent que celle d’après fait n’importe quoi. Cliché! » En effet, dans les dernières années, les générations actives au Québec tendent à se lancer des piques. Boomer, Milléniaux, Génération Z et X, la disparité générationnelle entraîne des conflits. Le fossé se creuse entre les divergences d’opinion, d’intérêt et de sensibilité envers l’environnement.

Par Léonie Faucher, rédactrice en chef

Tout d’abord, une génération est un concept sociologique qui désigne un ensemble de la population ayant deux points communs : une tranche d’âge et un contexte historique. Ce sous-ensemble partage un certain nombre de pratiques culturelles et de représentations, puisque cette partie de la population a grandi durant une même époque.

Selon les chercheurs, les dates de naissance exactes qui déterminent les tranches générationnelles varient. En effet, tout dépendant des caractéristiques culturelles sur lesquelles ils se sont basés pour établir l’étalement d’âge. Les frontières entre les générations sont poreuses et le terme génération appartient à la famille de généralité, donc il est possible qu’une personne ne s’identifie pas à sa génération. En effet, chaque tranche est représentée par des traits typiques (presque cliché) qui sont une généralisation de ceux et celles qui constituent la génération.

 

Voici une approximation des dates et des caractéristiques des quatre générations actives au Québec au XXIe siècle selon les sociologues :

1. Les Baby-boomers (1946-1964) La génération issue de l’après-guerre sait travailler dur et elle n’a pas peur de se salir. Elle a aidé ses parents (la génération silencieuse) à relever le pays après les guerres. Elle a contribué aux actes de leurs parents durant la Révolution Tranquille. Avec un grand esprit de compétition, elle souhaite être appréciée pour son expérience. C’est une génération très traditionnaliste.

2. La Génération X (1965-1980) Les suivants du Baby-boom, cette génération met la priorité sur le travail et la carrière. Première fervente de la conciliation famille et travail, elle a une peur reliée à l’emploi qui s’explique par la difficulté qu’elle a eue à entrer sur le marché du travail. En effet, les différents crash boursiers et pétroliers dans les années 1970 ont mis fin à l’insouciance. Cette génération travaille pour avoir un bien-être et souvent leur travail n’est pas dans leur centre d’intérêt.

3. La Génération Y ou les milléniaux (1981-2000) Première génération à avoir eu une adolescence avec le monde d’internet, des écrans d’ordinateurs et les consoles de jeux vidéos. C’est elle qui a intégré les phases de repos dans le rythme effréné de la vie. Bien qu’elle soit réticente face à l’autorité, elle a une facilité avec les types de communication. Professionnellement, elle hésite moins à changer d’entreprise et à rejeter la carrière longue au même endroit. C’est la génération qui cherche et qui cherche encore. Elle cherche sa place et elle veut la meilleure place.

**La génération des Zillenials ne figurent pas dans le modèle typique des générations, mais selon le urban dictionnary, elle concerne les passeurs de siècles (environ 1994-1999). Cette micro-génération a beaucoup de ses représentants.es à l’Université en ce moment. Cette génération transitoire est trop jeune pour être millénial et trop vieille pour être des Z. Elle baigne donc entre les deux univers. Dépendant du milieu dans lequel elle a grandit, elle se rattache à une ou l’autre des générations.

4. La Génération Z (2000-…) Considérée comme la nouvelle génération silencieuse (la première étant de 1920 à 1945), la génération Z baigne dans la technologie qui domine son quotidien. C’est la génération la plus connectée. Plus réaliste que leurs prédécesseurs, pour eux le travail et la vie doivent s’orienter comme un processus à la recherche du bien-être. Avec les départs à la retraite des Baby-boomers, cette génération aura moins de difficultés à trouver un travail stable.

Les conflits inter-générationnels : «Dans mon temps…»

Simplement en observant les portraits généraux des générations actives, il est compréhensible que des conflits puissent éclater, puisque le contexte change beaucoup en une dizaine d’années. Le plus populaire de ces conflits générationnels opposent les Baby-boomers traditionalistes aux milléniaux : le mouvement Ok Boomer! L’expression entre dans la culture populaire en 2019 sur les réseaux sociaux et vise à balayer les jugements perçus comme dépassés des Baby-Boomers. Selon le site Dictionary, c’est notamment le refus d’admettre la réalité qui est associés aux boomers qui ressort, soit le déni de la crise environnementale, la marginalisation des minorités ou une opposition aux idéaux de la génération montante.

Cependant, Ok Boomer n’est pas le premier clash entre les générations. D’ailleurs, nos fameux Boomers ont déjà été dans la même situation que la génération millénale. En effet, ils se sont opposés à la génération d’avant-guerre, puisque leurs idéologies divergeaient. Selon l’étude La Sociologie des générations depuis les années soixante par Guy Falardeau, les conflits entre les générations sont « une divergence dans la poursuite d’objectifs sociaux correspondant à des niveaux différents de besoins.»

«la génération qui a connu la Seconde Guerre mondiale accorde une place plus grande à la sécurité (valeur matérialiste), alors que la génération qui a grandi pendant l’essor économique de l’après-guerre se préoccupe davantage de ses besoins affectifs, de sa dignité et de sa réalisation personnelle (valeurs postmatérialistes). »

Les générations sont-elles destinées à être en conflit?

Tout d’abord, un conflit de génération n’inclut pas toute la génération, mais souvent quelques membres de générations différentes. Dans la majorité des cas, ce genre de conflit se rapporte plus à un débat entre adultes et jeunes. Basé sur des préjugés mutuels, le conflit entre génération découle de valeurs divergentes, voire de conflits d’intérêts. Dans l’exemple du Ok, Boomer, il semblerait que la question environnementale soit au centre du conflit. En effet, c’est la député politique Chlöe Swarbrick, âgée de 25 ans, qui lance un cinglant «Ok, boomer » à l’un de ses collègues plus âgé. Celui-ci l’avait huée lorsqu’elle a défendu la lutte contre le réchauffement climatique au Parlement, il y a un an, en novembre 2019.

Ce phénomène de conflit intergénérationnel semble être programmé à tous les vingt-quatre ans, selon la théorie générationnelle de Strauss-Howe. Les deux historiens américains, William Strauss et Neil Howe, identifient quatre cycles qui se succèdent dans une rotation de quatre fois vingt ans. Ces cycles sont caractérisés par des phases d’éveils spirituels et de crises séculaires.

Voici les quatre cycles expliqués selon le cycle du XXIe siècle (le nôtre) :

1- Les artistes (soit les traditionalistes nés avant la guerre. À noter que la génération Z s’inscrit dans cette catégorie pour le un nouveau cycle qui commence avec eux) : Cette phase du cycle est décrite comme les indécis et les émotionnels. Leur enfance a eu lieu en période de crise et ils ont été surprotégés par leurs parents face aux atrocités du monde. (Fait, la génération Z grandit actuellement en contexte de pandémie avec la Covid-19, leur enfance en sera marquée)

2- Les prophètes (les baby-boomers) Ceux-là vivent pour leurs valeurs, ils sont moralistes et prêts à défendre leurs idées. Après la crise vécue par les artistes, les prophètes rétablissent un système viable.

3- Les nomades (La génération X) : Ils sont aventureux, pragmatiques et cyniques. Ils n’ont pas été aussi protégés que leur aînés. Les nomades sont conscients de la réalité et cherchent une stabilité.

4- Les héros (La génération Y) Petite énergique et curieuse, cette génération a été élevée dans des familles les mettant au centre de leurs préoccupations. c’est la période d’éveil avant la crise, les idées des héros vont à l’inverse de leurs prédécesseurs ce qui créent des conflits.

D’ailleurs, Dans l’ouvrage, publié en 1997, The Fourth Turning, les auteurs faisaient même cette prévision : « Vers 2005, une soudaine étincelle déclenchera une crise. Les vestiges de l’ordre social ancien se désintégreront. La confiance politique et économique disparaîtra. »

Selon leur modèle, chaque génération évolue dans une situation économique qui les façonnent pour devenir adulte, parent et ancien. Lorsqu’il y a une période d’amélioration économique et de foisonnement, les enfants sont des nomades et les parents (quadragénaire) sont des artistes. Les périodes de crise arrivent toujours lorsque les artistes sont vieux, les prophètes mûrs (baby-boomer), les nomades sont adultes (Génération X) et les héros sont jeunes adultes (Génération Y).

Proclamer son indépendance ou âgisme grave

Être fier.e de son idéologie et vouloir montrer aux autres que votre pensée est juste, c’est adéquat seulement si la bascule ne penche pas vers l’âgisme. Définition, l’âgisme, c’est le processus par lequel une personne est stéréotypée et discriminée en raison de son âge. Le problème avec le mouvement Ok, boomer, c’est qu’il est péjoratif et certaines manifestations tombent plutôt dans l’âgisme. En effet, la génération des baby-boomers semble plus être dévalorisée pour la « tasser ». Dans un conflit, il y a des échanges et des débats pour arriver à un compromis. Dans le cas du «Ok, Boomer», c’est une réponse qui ferme la possibilité de collaboration en disant en bon québécois « Tageule l’aïeul!»

«Une génération donnée ne peut pas prétendre être progressive, ouverte et inclusive, si dans son discours et ses actions, elle demande à une autre génération de se tasser, et de se taire. » – Jean Vézina, spécialiste en âgisme

Directeur de l’école de psychologie de l’Université Laval et spécialiste en âgisme, Jean Vézina mettait en garde en novembre 2019 dans une entrevue pour l’Exemplaire que l’utilisation du «Ok, Boomer» pourrait être associée à de l’âgisme. Même si chaque génération finit par remettre en question le passé, cette fois-ci le mouvement est marqué par un repli sur soi et une fermeture mondiale face aux idéologies des générations précédentes.

Finalement, si on revient au début de mon article, une des motivations derrière le «Ok, boomer» est la marginalisation des minorités. N’est-ce pas une ironie du monde que ce même mouvement prône la marginalisation des aînés?

Ça lance une bonne réflexion.

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