Photo: Julie-Anne Perreault

«Un éléphant blanc» pour nous rappeler l’importance d’être prudent avec les fonds publics

La bataille du Vendredi saint, le but d’Alain Côté, les frères Stastny… difficile pour les amateurs et amatrices de hockey, de ne pas être nostalgiques dès le moment où l’on évoque le « temps des Nordiques », une époque où les rivalités surpassaient encore les dollars dans l’équation du sport professionnel. Émotions, politique et développement ne font toutefois que rarement bon ménage, alors qu’à quelques mois du quatrième anniversaire de l’inauguration du Centre Vidéotron, l’espoir du retour d’une équipe dans la Vieille-Capitale est au plus bas, alors que pâlit de plus en plus l’amphithéâtre de Québec, trônant sur le quartier Limoilou.

« Un projet rassembleur pour toute une population, fière d’avoir assisté à la naissance d’une infrastructure unique en son genre au cœur de la région de Québec », peut-on lire dans la description du bâtiment sur le site internet d’ABCP architecture, la firme responsable du projet. Le texte de présentation mentionne aussi « le dôme blanc visible depuis l’Ile d’Orléans » et ses formes rappelant « le mouvement de la neige déplacée par le vent ».

« Ça, c’est du discours de marketing, c’est de la vente de char », répond tout de suite le professeur agrégé à l’École d’architecture de l’Université Laval, François Dufaux. « C’est intéressant la question de la visibilité, poursuit-il. Vous savez, l’incinérateur de Québec aussi, il est visible. Il y a des infrastructures comme ça qui sont visibles, mais est-ce que ça suffit d’être visibles pour être intéressantes ? »

Une chose est certaine, l’amphithéâtre sera dans le paysage de la ville de Québec pour les cinquante prochaines années et les discussions entourant son design, son utilisation et sa rentabilité devraient, à l’image des Nordiques, traverser le temps.

« Est-ce que l’amphithéâtre de Québec va être un peu comme le Stade olympique à Montréal, c’est- à-dire un bâtiment sur lequel il y a beaucoup d’émotions investies, ce qui permettra un jour de l’apprécier ? », se demande l’expert. La question reste en suspens…

« C’est une infrastructure, comme un pont »

Pour bien réfléchir aux différentes implications d’un investissement public de cette envergure, il est essentiel, dans un premier temps, de tempérer nos attentes par rapport à la rentabilité. L’amphithéâtre doit être analysé comme une infrastructure. « Ce n’est pas censé générer de l’argent directement, explique François Dufaux. Dans le fond, le financement est un peu comme un puits dans lequel on met de l’argent en prenant le pari que ça en génèrera de façon indirecte. »

« Ma position à l’époque était que ce n’était pas bête, mais que c’était risqué, poursuit le professeur en économie du sport professionnel à l’École de science et de gestion de l’Université du Québec à Montréal, Philip Merrigan. Il fallait comprendre la part de risque. Malheureusement, ça n’a pas tourné du bon côté pour la ville. »

Les risques étaient toutefois bien connus, la construction de stades en Amérique du Nord à partir de fonds publics n’étant pas une réalité nouvelle. « De manière générale, les investissements publics dans les stades professionnels ont des rendements assez faibles, sinon négatifs, poursuit l’économiste. Il ne faut pas s’attendre à des rendements très importants. »

« L’idée du troisième lien, ça se ressemble pas mal, compare le directeur du Centre de recherches en aménagement et développement de l’Université Laval, l’économiste Jean Dubé. Le monde veut telle chose, donc on va leur donner. Ça va te servir à quoi maintenant et qu’est-ce que tu vas en faire plus tard ? As-tu vraiment pensé à la meilleure façon de l’intégrer, est-ce le meilleur projet que tu puisses avoir ? Ce sont toutes des questions qu’on peut poser. »

Photo: Julie-Anne Perreault
Visible, mais inaccessible

Bizarrement, la question de la localisation du nouveau stade – sur la piste de l’ancien hippodrome et à quelques pas de l’ancien Colisée Pepsi – a été bien peu discutée dans l’espace public. La ville cherchait à l’époque à construire sur un terrain lui appartenant, à proximité de voies routières d’accès.

« Vous ne ferez pas venir des gens de très loin pour aller à la foire alimentaire Place-Fleur-de-Lys, ironise François Dufaux. Si l’amphithéâtre avait été plus près du centre historique, les gens auraient sans doute été plus tentés de faire ça. »

Le professeur Dufaux avait organisé à l’époque une conférence TED sur le campus afin de proposer différents emplacements plus intéressants, tant sur le plan architectural, qu’urbanistique et économique. « Un projet qui n’est pas réussi, ça nous dit quelque chose sur un certain nombre de décisions qui n’ont peut-être pas été les meilleures », soulève l’architecte.

« Le jeu politique et le jeu de l’urbanisme, ce ne sont pas les mêmes règles, nuance quant à lui Jean Dubé. Une très bonne décision politique peut, sur le plan de l’urbanisme et du développement, s’avérer une mauvaise décision. »

Central, mais en banlieue

Si le site parait plutôt central à première vue (et en regardant une carte aérienne de Québec), il se situe plutôt loin des autres pôles d’attraction touristique et de forte activité économique. Les experts questionnés s’entendent pour dire que dans ce contexte, l’amphithéâtre ne détient pas un fort potentiel attracteur.

Idéalement, de telles infrastructures devraient être construites de manière à s’insérer harmonieusement dans le tissu urbain, « pour pouvoir faire vivre ce qu’il y a autour, être une partie intégrante de la vie et de la dynamique urbaine, explique Jean Dubé. Dans le cas de l’amphithéâtre de Québec, il faut vouloir y aller. »

« Par rapport au tissu du quartier autour qui est relativement serrée, la distance entre le trottoir, la rue et l’entrée des magasins est très direct, au plus gros 10 pieds de distance, mentionne l’expert en patrimoine urbain, François Dufaux. Lorsqu’on arrive là, on a affaire à un aménagement de banlieue assez typique. C’est vrai que ce n’est pas nécessairement très appropriable. »

Finalement, le Boulevard Wilfrid-Hamel au sud de l’amphithéâtre, truffé de magasin à grande surface et de commerces de restauration rapide a bien peu à offrir en ce moment pour compléter une offre touristique attrayante. « Dans n’importe quelle ville québécoise, il y a un boulevard Hamel, exemplifie- t-il. Il n’y a pas grand-chose d’exceptionnel à aller chercher là pour quelqu’un qui vient de l’extérieur. »

Les probabilités de voir un développement de condominiums comme ce fut le cas ailleurs en Amérique du Nord sont plutôt faibles, selon les trois experts. « C’est assez hostile comme environnement, je ne vois pas vraiment pourquoi les gens voudraient aller habiter là alors qu’il y a un tas d’autres endroits plus intéressants à Québec », tranche Dufaux.

« C’est le propre de plusieurs villes nord-américaines, ce n’est pas un cas unique. C’est un peu la conséquence de s’être développé autour de l’automobile »

– Jean Dubé, directeur du Centre de recherche en aménagement et développement de l’Université Laval.

Une structure fiscale qui facilite les investissements en Amérique du Nord

Si les projets sont difficiles à défendre d’un point de vue architectural, urbanistique et économique, comment expliquer qu’une aussi large part des fonds publics à l’échelle du continent soit ainsi « drainée » par des investisseurs privés ? C’est la question que s’est posée le journaliste pigiste Neil DeMause, dans son livre et sur son blogue Field of schemes.

Le sport professionnel participerait ainsi à une course aux « meilleures législations », évidemment du point de vue des investisseurs. L’un des éléments essentiels dans cette course ? Le chantage au déménagement. Et pour faire chantage, ça prend des arénas vides… comme à Québec.

« La perception était qu’il y avait beaucoup d’équipes en difficulté et on essayait de se tenir prêt à accueillir une équipe en train de faire faillite aux États-Unis, se souvient le spécialiste en économie du sport professionnel, Philip Merrigan. Ça avait été le cas de Winnipeg quelques années auparavant. La ville avait fait construire un stade sans même avoir l’assurance d’un déménagement, et finalement Atlanta s’est retrouvée en difficulté et a déménagé. »

Dans le cas de Québec, les citoyens ont dû assister, impuissants, au renouvèlement – à rabais – de l’entente entre les Coyotes de l’Arizona et la ville de Glendale. Attention aux nostalgiques, le spectre du retour des Expos aurait été maintes fois évoqué lors de la renégociation du contrat d’exploitation du stade des Rays de Tampa Bay, « un classique dans le livre de jeux des patrons de ligues professionnelles » selon le journaliste Patrick Lagacé, qui discutait du livre de deMause dans La Presse il y a quelques semaines.

« C’est là qu’il faut jouer franc-jeu jusqu’au bout, indique le professeur en développement, Jean Dubé. Si tu dis que c’est de l’argent public parce qu’il y a une forte dimension sociale et culturelle, l’argent devrait peut-être revenir à la collectivité et non à des individus. »

La construction des stades, et plus largement des infrastructures, s’insère aussi dans une dynamique de lobbyisme avec les décideurs publics. « Il faut se demander qui profite de ça, soutient Philip Merrigan. Les premiers, ce sont les entrepreneurs, l’industrie de la construction, parce que la majorité des revenus qui vont venir de tout ça va leur revenir et ce, peu importe à qui revient la facture. »

« Généralement, les chambres de commerce et puis les industries qui tournent autour de la construction de l’amphithéâtre exercent beaucoup de lobbying sur les maires, les conseillers et ainsi de suite », poursuit-il.

Et le retour du hockey ?

Les trois experts consultés semblent peu optimistes quant au retour d’une équipe, allant même jusqu’à remettre en doute la viabilité économique des néo-Nordiques, notamment en raison de l’emplacement du stade. L’annonce par la Ligue nationale de hockey d’une expansion à 32 équipes qui prioriserait Seattle, deux ans seulement après avoir vu les Golden Knights de Vegas leur couper l’herbe sous le pied, a eu l’effet d’une douche froide sur les partisans de Québec. « Ce sont les intérêts commerciaux de la ligue qui priment », déclarait le journaliste sportif, Martin Leclerc, à Radio-Canada.

Fiscalité du sport 101, avec Philip Merrigan

« La première chose, c’est que les obligations municipales pour la construction d’infrastructures sont déductibles d’impôt. Si on achète des obligations qui financent des infrastructures dans les villes, les intérêts sont déductibles d’impôt. »

« Lorsqu’on achète une équipe, comme dans n’importe quelle industrie, il y a ce qu’on appelle de la dévaluation physique. Aux États-Unis, on peut aussi déprécier la valeur des joueurs. Lorsqu’on achète une équipe, on pourra, sur cinq ans, déduire la valeur des joueurs des revenus de l’équipe. Il n’y a aucune autre industrie où l’on peut considérer les travailleurs comme du capital qui peut se déprécier. »

« Sous un certain type de corporation, les pertes comptables occasionnées par les opérations d’une équipe sportive peuvent être transférées et déduites du revenu individuel de la personne qui est propriétaire de l’équipe. La majorité des équipes appartiennent à des milliardaires. S’ils ont des pertes comptables, celles-ci peuvent être déduites de leur revenu personnel, ce qui leur permet de payer moins d’impôts. »

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