Enjeux LBGTQ+ au Canada : une lutte inachevée

«Oui, mais on est quand même bien mieux ici qu’ailleurs ! » Combien de fois avez-vous entendu cette phrase ? Elle arrive à un point ou à un autre dans la discussion quand on parle des droits LGBTQ+, mais pas seulement. On l’entend aussi lorsqu’il est question d’égalité entre les hommes et les femmes, de racisme ou des impacts environnementaux. Pourtant des problématiques persistent dans tous ces domaines.

Par Ludovic Dufour, journaliste collaborateur

Selon Statistique Canada, le salaire moyen d’une femme était de 13,3% inférieur à celui d’un homme en 2018. En 2017, un groupe de travail de l’ONU se montrait « deeply concerned by the structural racism that lies at the core of many canadian institutions » d’après un article de la Commission des droits de la personne de la Nouvelle-Écosse. Concernant l’environnement, le site officiel du gouvernement du Canada rapporte fièrement sa position de troisième exportateur en importance de pétrole dans le monde, avec une production de 4,64 millions de barils de pétrole par jour, la majorité étant issue des sables bitumineux. Malgré tout, le Canada conserve une excellente réputation à l’international face à ces enjeux. Le World Economic Forum le classe dix-neuvième pour la parité hommes-femmes et il se classe vingtième sur cent quatre-vingt pour son EPI (Environmental performance index).

Il y a donc du vrai dans cette affirmation, le Canada va plutôt bien quand on le compare à d’autres pays, c’est aussi vrai concernant les droits LGBTQ+.
Cependant, ce genre de réflexion nous pousse vers la passivité et le contentement et nous rend aveugles devant des problématiques pourtant bien réelles. Le Canada ne fait peut-être pas partie des soixante et onze pays criminalisant l’homosexualité, mais on ne peut y nier la présence de transphobie et d’homophobie. Les droits LGBTQ+ sont reconnus et défendus par la loi autant par le Canada que par le Québec, alors quelles luttes restent-ils à mener pour remédier à l’intolérance et aux injustices persistantes ? Pour répondre à cette question et dresser un portrait global des problématiques québécoises et canadiennes sur le sujet, nous avons contacté Kevin Lavoie, professeur adjoint à l’École de travail social et de criminologie (ÉTSC) de l’Université Laval ainsi que Michel Dorais, sociologue de la sexualité et professeur titulaire à l’ÉTSC.

La liste qui suit trace les grandes lignes des enjeux soulevés par les deux chercheurs, mais elle n’est en aucun cas exhaustive. D’autres éléments ont été amenés dans les discussions, mais faute de pouvoir tous les traiter correctement en un seul article, conséquence de l’étendue du sujet, nous allons nous contenter de mentionner ici les aspects abordés plus en détail par les experts.

Premier constat souligné par les chercheurs, le Canada, pays à forte immigration, offre un environnement particulier pour la communauté LGBTQ+. Dans un premier temps, l’immigration apporte de nouvelles personnes se considérant comme faisant partie à la fois d’une minorité ethnique et d’une minorité sexuelle. Non seulement elles doivent faire face à l’homophobie et à la transphobie, mais aussi à la xénophobie et au racisme qui ensemble viennent exacerber les pressions subies par ces groupes. De plus, le statut de migrant.e ou de réfugié.e de ces personnes rend difficile l’accès aux soins et aux services psychosociaux. M. Lavoie explique que : «Dans le cas de personnes trans migrantes, elles ne peuvent pas toujours amorcer un processus de transition sur le plan légal, ce qui va avoir une incidence sur plein de sphères de leur vie par la suite et sur leur intégration au Canada et au Québec ». Dans un second temps, les immigrant.es viennent avec leur propre culture, appartenance politique et religieuse. Ces bagages se retrouvent confrontés avec la réalité québécoise et canadienne, ce qui nécessite souvent beaucoup d’adaptation de la part des nouveaux arrivants. Concernant les droits LGBTQ+, M. Dorais rappelle que le Québec a « les lois les plus progressistes au monde » et qu’elles ont d’ailleurs toutes été votées à l’unanimité au parlement, ce qu’il met en contraste avec le passé de certain.es immigrant.es. Par exemple : «Si vous avez vécu toute votre vie avec le fait que l’homosexualité mérite la mort et puis que vous voyez deux gars se tenir par la main et s’embrasser sur la rue, peut-être que ça va vous ébranler un peu ».

Deuxième constatation, de nouvelles manières de s’identifier ont vu le jour, ou du moins ont profité de plus d’attention ce qui a mené à la création de nouvelles expressions. Ces aspects restent cependant méconnus par plusieurs, alors que des problématiques propres à ces identifications font leur apparition. M. Lavoie mentionne par exemple la non-binarité et son rapport avec les bureaucraties, les pièces d’identité où aucune case ne correspond à leur cas : «Plein de gens naviguent dans le système qui ne correspond pas à leur réalité ». Autres cas, l’intersexuation, auparavant connue comme «l’hermaphrodisme », mais qui tend à désigner plutôt l’ambiguïté des organes sexuels que la double identité comme l’emprunt à la mythologie grecque le laissait supposer.”. Ici, on s’approche davantage de la diversité corporelle que de la diversité de genre ou sexuelle. M. Lavoie avertit : «À l’heure actuelle, encore au Québec, il y a des interventions médicales qui sont faites de manière non consentie chez les enfants à la naissance ».

Troisième constat, les aînés.es LGBTQ+ vivent encore plus l’isolement que la plupart des ainés.es Ils ne disposent pas toujours du soutien de leur famille d’origine et n’ont souvent pas d’enfant, ce qui appauvrit leur réseau social. M. Dorais explique que traditionnellement, les minorités LGBTQ+ socialisent dans des endroits festifs, mais qu’en vieillissant ces lieux perdent de leur attrait. Mais, non seulement les ainés.es souffrent de cette solitude, mais les plus jeunes sont également privés.es d’un lien avec une génération avec laquelle iels peuvent s’identifier. M. Dorais parle de la perte de deux héritages, l’un propre et l’autre figuré. Il propose de trouver des causes dans lesquelles les ainés.es pourraient léguer leur héritage afin de soutenir la communauté. L’autre héritage perdu est de nature culturel et historique. Malheureusement, plusieurs des militants des années 70 ont succombé au VIH et l’histoire s’efface avec eux. Il compare notre méconnaissance de l’histoire des luttes LGBTQ+ au Canada à celles des communautés autochtones, les deux si importantes et pourtant si ignorées.

D’autres enjeux ont été mentionnés par les deux professeurs. Par exemple, les droits de la famille, qui, bien que pas qu’une problématique exclusivement LGBTQ+, touche en particulier la communauté notamment concernant l’encadrement des mères porteuses pour les couples gais. Il faut aussi savoir que la loi québécoise ne permet pas la pluriparentalité, contrairement à d’autres provinces canadiennes. La criminalisation et la stigmatisation du VIH prennent également une tournure particulière pour la communauté LGBTQ+ surtout chez les plus vieilles générations. En résumé, des enjeux tout aussi importants n’ont pas été mentionnés ici, preuve qu’il reste beaucoup de travail à faire.

Alors, comment régler ces problèmes ? Les deux chercheurs mentionnent l’éducation pour faire avancer ces problématiques. Ils soulignent le travail de sensibilisation de GRIS (Groupes de recherche et d’intervention sociale) du Québec et d’autres organismes, mais c’est insuffisant. L’éducation, et ce tant au niveau primaire qu’universitaire, manque terriblement de cours sur le sujet. M. Dorais précise : «J’enseigne dans une université [qui], au moment où l’on se parle, a un seul cours sur la diversité sexuelle et de genres ». M. Dorais avance également quelques solutions concernant l’isolement des ainés.es. Par exemple, la création de maisons d’ainés.es LGBTQ+ où il y aurait des loyers gratuits pour les jeunes en échange de quelques travaux, ce qui briserait l’isolement et encourageait les échanges intergénérationnels. M. Lavoie mentionne aussi que les organismes communautaires manquent souvent de moyens, notamment financiers. Dans la situation actuelle, leur financement se fait principalement par projet, ce qui donne une nature temporaire aux services offerts. Il aborde aussi la réforme du droit comme solution inévitable à plusieurs enjeux tels que la criminalisation du VIH.

Les deux chercheurs valorisent également l’écoute des personnes concernées quand vient le temps de discuter de ces enjeux. En effet, comment peut-on parvenir à régler les problématiques si l’on ignore les personnes les plus directement affectées ? L’échange et la transmission restent les outils les plus forts dont nous disposons qu’elles soient entre les cultures, les générations ou les identités de genres.

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