Les Gremlins, ou le cinéma en tant que pont intergénérationnel

1984, c’est quoi ? Plusieurs réponses sont possibles: c’est le totalitarisme d’Orwell, l’année où Akira Toriyama a accouché de son manga Dragon Ball, l’année de sortie de Gremlins au cinéma, et bien évidemment l’année de naissance d’Avril Lavigne. Si je n’ai pas les connaissances requises pour vous brosser un portrait de cette chanteuse pop-rock-machin, je peux en revanche vous en dire davantage sur le film de Joe Dante, sorti plus exactement le 8 juin 1984. Date de sortie ironique, pour un film de Noël.

Par William Pépin, chef de pupitre aux arts

Gremlins, qu’est-ce que ça raconte déjà ?
Tout commence dans le quartier de Chinatown, à New York. Un inventeur (plus ou moins doué) du nom de Randall Peltzer se rend dans ce quartier new-yorkais afin d’y dénicher un cadeau de Noël pour son fils Billy. Rand adoptera un mogwaï, une petite créature velue aux grandes oreilles, que le vendeur lui cédera à contrecœur : pour ce dernier, l’adoption d’un tel animal exige d’assumer de grandes responsabilités.

L’idée d’adopter un mogwaï au lieu d’un chat peut nous sembler singulière, mais après tout, pourquoi pas ? Il y en a bien pour adopter d’immondes créatures comme des serpents ou des mygales. Lors de l’achat de l’animal-créature, Rand devra s’assurer de respecter trois règles, que vous connaissez sans doute : le mogwaï ne doit en aucun cas être exposé à la lumière — au risque de mourir —, il ne doit ni se mouiller ni boire de l’eau et, surtout, il ne doit pas manger après minuit. N’étant pas à une étrangeté près, le père de famille accepte le marché et adopte le mogwaï, baptisé Gizmo. 

C’est bien beau tout ça, mais dépêchons-nous de transgresser ces règles, question qu’il y ait des péripéties. Pete, l’ami de Billy, renverse un verre d’eau — eh oui ! — sur Gizmo, qui se multiplie aussitôt. Le mogwaï possède désormais cinq petits frères. Plus tard, une seconde règle sera transgressée, quand Billy donnera à manger aux mogwaïs, après minuit, n’ayant pas réalisé que son cadran n’affichait pas la bonne heure. Oups. Les Gremlins font leur entrée.

Je m’arrête ici : je ne veux pas tout vous dévoiler de l’intrigue, mais sachez simplement que le film se transforme ici en comédie horrifique, où nous pataugeons à moitié dans le genre du slasher, à deux doigts du gore et des scènes de meurtres, qui n’auraient rien à envier à un Halloween ou un Friday the 13th. Je rappelle, pour les moins attentif.ve.s, qu’il s’agit d’un film de Noël. 

Ce qu’aurait pu être Gremlins
Le film est scénarisé par Chris Colombus, à qui l’on doit la réalisation des deux premiers opus de la saga Harry Potter. Sa première version du scénario est jugée trop sombre par Steven Spielberg et la Warner, producteurs du film. En effectuant des recherches pour cet article, j’ai découvert avec effroi que Colombus a également réalisé en 2015 Pixels, ce film tout pourri où Adam Sandler et Peter Dinklage affrontent des cubes luminescents aux côtés du créateur de Pac-Man. Bref, visiblement, certains sont capables du meilleur, comme du pire. 

Il est difficile d’affirmer avec exactitude ce que le long-métrage de Chris Colombus aurait donné sans l’intervention de la production, sinon un film d’horreur plus assumé. Car, si certains.nes considèrent Gremlins comme un film de Noël ou une comédie, plusieurs le perçoivent également comme un film d’horreur à ne pas mettre devant les petits. C’est peut-être ce qui, personnellement, m’attire le plus dans ce film : son éclectisme et le croisement des genres.

Le potentiel d’une culture intergénérationnelle
Pour les gens ayant grandi dans les années 80-90, Gremlins est un classique, un immanquable dans le panthéon de la culture populaire de l’époque. Pour notre génération, c’est moins évident : les mogwaïs sont souvent confondus avec les Furby, ces peluches que l’on a tous et toutes déjà eues étant enfant. Cependant, j’ai l’intuition que le film est sur le point de connaître une deuxième vie, ne serait-ce que par l’intermédiaire des nouveaux parents. C’est le film intergénérationnel par excellence, un peu comme Harry Potter, ou Star Wars, que les nouvelles générations redécouvrent.

À mon sens, Gremlins est bien plus qu’une comédie horrifique aux arômes de clou de girofle : il s’agit d’un véritable film initiatique, à mi-chemin entre la naïveté et l’horreur, qui se transmet d’une génération à l’autre. Joe Dante manie à merveille la délicate alchimie qui allie l’enfance et la maturité. Avec Gremlins, il parle à tout le monde. C’est une œuvre de passage, un film charnière que l’on se doit d’écouter ni trop jeune ni trop vieux pour qu’il soit marquant à sa juste valeur. Que l’on considère le cinéma en tant qu’objet culturel ou comme une industrie froide et mercantile, je crois que l’épreuve du temps prouve qu’il peut également s’agir d’un pont intergénérationnel, une manière de lier les époques et les individus, qui n’ont – a priori – rien en commun.

 

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