Héritage : ce qui nous appartient, ce qui ne nous appartient pas

Ça y est, on recommence déjà. À peine nous remettons-nous de notre dernier festival, de notre dernier coup de chaleur que nous sommes déjà tiré.e.s sur le campus. On fait comme si on voulait que l’été s’étire, que l’école ne recommence pas, mais la vérité, c’est qu’on attend la rentrée comme on attend le printemps. On s’étonne de trouver les matins froids de septembre plus réconfortants que les soirées chaudes d’été. Puis, on retrouve le campus, le plus habité qu’on ait connu depuis longtemps. On retrouve ses ami.e.s ou on se retrouve seul.e.s et on marche sur le campus avec cette sensation qui est celle des premières fois.

Par Emmy Lapointe, rédactrice en chef

Pourtant, plusieurs d’entre vous vivront, cette année, leur dernière rentrée. Vous aurez occupé le campus pendant trois, cinq, dix ans, et sans vous en rendre compte peut-être, au lendemain d’une prochaine fête du Travail, vous ne retrouverez plus les salles de classe. Vous aurez laissé votre place à quelqu’un d’autre. Qu’est-ce que vous aurez gardé de votre passage ici ? Qu’est-ce que vous aurez laissé ? Aurez-vous seulement pris ce que vous souhaitiez ou, malgré vous, l’université aura laissé certaines traces non désirées sur vous ? Et si vous conservez de votre passage à l’université une façon d’être et de faire, une façon d’appréhender les dates butoirs, conserverez-vous aussi votre capacité à mémoriser, votre vitesse de rédaction ?

Pourquoi héritons-nous de certaines choses plus que d’autres ? Pouvons-nous transmettre sans en être conscient.e.s ? Que faisons-nous de ce qu’on nous lègue, mais dont on ne veut pas ?

Le sombre
Des souris mâles ont été soumises, plusieurs fois par jour pendant trois jours, à des charges électriques après avoir senti une odeur se rapprochant de la fleur de cerisier. La suite est ici prévisible : à la seule manifestation de l’odeur, même s’il n’y avait plus de décharges qui suivaient, les souris mâles étaient terrifiées.

Ces souris se sont reproduites par fécondation in vitro – les souriceaux n’ont donc jamais été en contact avec leur père – et, pourtant, les petits craignaient tout autant l’odeur de la fleur de cerisier. Quand les petits ont eu à leur tour des souriceaux, ces derniers étaient eux aussi terrifiés par l’odeur de fleur de cerisier. Évidemment, l’épigénétique et la génétique tout court m’échappent, mais ce qu’il faut en retenir, c’est que les peurs, les traumas peuvent modifier l’expression génétique et donc être transmis. 

Après, je ne sais pas ce qu’on fait du sombre dont on hérite et encore moins ce qu’on fait du sombre qu’on ne veut pas transmettre malgré nous, mais il me semble que de savoir ça, que de savoir que la violence se transmet, c’est déjà savoir qu’il nous faut être empathiques avec celleux qui portent des douleurs qui nous semblent lointaines. 

Le clair
Les love langages – concept hyper contestable lorsqu’on connaît ses origines théoriques, mais pour cette fois, je ferai comme si – diffèrent d’une génération à l’autre. J’ai l’impression que les gens de la génération de mes grands-parents ont l’amour prude même s’ils ont l’amour fort. Ils aiment par l’inquiétude de l’éloignement, par le Crisco déversé dans toutes les recettes, par les 20 $ dans les cartes Jean Coutu. 

Ma grand-mère, en tout cas, elle aime comme ça (et par les pyjamas en flanelle), et il y a quelque chose d’extrêmement émouvant dans l’amour des gestes, parce que contrairement à ce qu’on pense, les gestes ne restent pas tant que ça, parce qu’on ne les voit pas toujours, et si on ne les voit pas, s’ils passent et disparaissent, comment on fait pour les garder en mémoire, pour suivre leur trace. Et ma grand-mère vieillit et ça me terrifie, parce que si elle part sans que j’aie appris ses gestes d’amour, je ne pourrai pas m’en souvenir autant qu’il le faudrait. 

Il y a quelques années, j’ai demandé à ma grand-mère ses recettes. J’ai donc reçu un cartable de recettes sur lequel il était écrit « Les recettes de ma grand-mère Lapointe ». Je sais que ça ne suffira pas à tout garder en tête et en corps, mais il restera quelque chose et ça suffit à calmer mon angoisse de la perte. 

Crédits photo : Impossible à retrouver, le.la photographe du mariage est inconnu.e 

 

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