Héroux, Fournier, Cardinal

L’érotisme au grand écran québécois

Érotisme : n.m. «Description et exaltation par la littérature, l’art, le cinéma, etc., de l’amour sensuel, de la sexualité. Caractère érotique de quelque chose, de quelqu’un ; évocation de l’amour sensuel. » (Larousse)

Par Gabriel Tremblay, journaliste multimédia

La ligne est mince entre une oeuvre érotique et une oeuvre pornographique. Disons alors simplement que la finalité, l’effet escompté, n’est pas le même. La quête de l’excitation est la pierre angulaire d’un film pornographique, ce qui n’est pas le principal vecteur des films érotiques. De plus, l’érotisme est ancré dans la littérature depuis bien longtemps. Malheureusement, cet article n’est pas un hommage au Banquet de Platon, à certaines œuvres de Baudelaire, ou encore aux écrits du Marquis de Sade, mais bien au cinéma! Voici un «rétro-reportage » où tous les projecteurs sont tournés vers le grand écran québécois.

Les cinéphiles diront que Valérie, paru en 1969, est le tout premier drame érotique de l’histoire du cinéma québécois. Force est d’admettre que le film de Denis Héroux connaît un succès incommensurable et la réception du public en fait un véritable pilier de l’histoire cinématographique. Au boxoffice d’ici, les recettes s’élèvent à plus d’un million selon les distributions de l’époque. Le film sera vendu à plus de quarante pays. Le timing est parfait pour Denis Héroux, après tout, l’Occident est en pleine révolution sexuelle, et l’église catholique en prend pour son rhume. La scène initiale est d’ailleurs un « habile » pied de nez au clergé. Je n’en dis pas plus!

Pour Danielle Ouimet (protagoniste), l’incarnation de Valérie sera le rôle d’une vie, elle deviendra un sex-symbol aux quatres coins de la province, mais aussi à l’international.

En privilégié assumé, quelle chance j’ai eu d’assister à une représentation exclusive du film, restauré et présenté au Festival de cinéma de la ville de Québec (FCVQ). Danielle Ouimet a même répondu aux questions de la direction du FCVQ en fin de soirée. Fait inusité, elle ne savait pas qu’il y aurait des scènes de nudité avant de se rendre au tournage. Délaissant sa pudeur, la jeune adulte se résigne et accepte finalement. Une décision qui, disons-le, marquera «un peu » sa carrière et l’imaginaire collectif. Ce n’est pas peu dire, les gens la surnomment Valérie, encore aujourd’hui, lorsqu’ils la croisent dans la rue.

Selon les dires de cinéastes comme Denis Héroux et Claude Fournier, leurs longs-métrages avaient pour but de « décoincer » le public québécois. Au final, pas moins de quinze films du genre verront le jour sur une période d’environ dix ans. La plupart d’entre eux sont des comédies grivoises plutôt soft en termes de nudité. D’ailleurs, si la volonté des réalisateurs est de briser certaines barrières en terme de chasteté cinématographique, la forme est répétitive et le point de vue est, plus souvent qu’autrement, celui d’un homme blanc hétérosexuel. Somme toute, l’aspect libertin est plutôt pertinent et nécessaire pour l’auditoire. Pour la première fois, dans un contexte d’ouverture sexuelle, les québécois.es. peuvent s’identifier aux personnages. À noter que la télévision de l’époque est encore très formatée. Nous sommes loin des séries de télé-réalité.

Dans la culture populaire, les historiens et pseudo-historiens surnomment cette tendance les « films de fesses » ou encore, «maple-syrup porn ». La saveur de notre belle province est aussi reflétée à travers les trames sonores de ces blockbusters. Pour les mélomanes lisant ces quelques lignes, je vous conseille fortement la bande originale de Viens Avec Moi (1970). Si le contenu cinématographique est plutôt médiocre, le contenu musical orchestré par Paul Baillargeon est brillant, alliant à merveille le rock-pyschédélique et le funk-pop. Si vous collectionnez les vinyles, une édition remasterisée de ce classique est disponible depuis quelques années sous l’étiquette Trésor National.

Toujours en 70, Deux Femmes en Or, dirigé par Claude Fournier, fait un tabac dans les salles du Québec. Selon les statistiques d’entrées, un demi-million de billets sont vendus pour assister aux représentations, une première ! Mettant en vedette des comédiens et comédiennes connus.es. comme Monique Mercure ou Donald Pilon, Deux Femmes en Or est reçu (perçu) comme un important produit de démocratisation sexuel. Longue histoire courte, le portrait des femmes aux foyers en quête d’épanouissement est peint alors que leurs maris respectifs sont absents.

Fournier récidivera, quelques années plus tard, avec La pomme, la queue et les pépins. Cette fois-ci, le cinéaste de Waterloo s’attaque aux problèmes de masculinité et de virilité. Son poulain de prédilection est nul autre que le chanteur de charme, Donald Lautrec. L’excellente Janine Sutto est également de la distribution.

Un peu plus haut, je parlais brièvement de la religion. Rembobinons jusqu’en 1971, année où des représentants de l’Église catholique dénoncent la nudité présente dans beaucoup de films québécois. Les montages originaux des comédies «vulgaires » Après ski, de Roger Cardinal, et Pile ou face, de Roger Fournier, sont confisqués dès leurs sorties. Les religieux et religieuses s’indignent, exclamant que cette nudité n’est pas nécessaire.

En menant ma petite enquête, j’ai réalisé, que dans ces années, les cotes qu’on donnait aux films (entre un et sept), étaient attribuées par les prêtres. Cela mérite un méchant un gros WOW. Imaginez-vous un peu la scène : une poignée de vieux curés, cordée au cinéma, outrée devant l’écran. L’église ira même jusqu’à intenter un procès
envers Après Ski, ce sera le seul verdict de culpabilité pour un récit comme celui-ci. Évidemment, ce sera la seule «victoire » des catholiques qui devront s’y faire, puisque les passages grivois deviendront de plus en plus fréquents, voire banaux.

Après coup, le grand public verra l’âge d’or des films «cochons » comme une série de plaisirs coupables où la fonction de libération sociale est bien plus importante qu’un scénario écrit à l’arrache.

Et l’industrie pornographique dans tout ça?
Qu’en est-il des salles de diffusions?
Vous connaissez probablement, même si vous n’êtes familier avec cet univers… Le Cinéma L’Amour!

Véritable institution montréalaise, ce lieu culte est érigé en 1914 sous une formule hybride, combinant cinéma et théâtre. L’entité alors appelée «Le Globe » changera de vocation à quelques reprises pour finalement devenir, en 1969, un cinéma à vocation érotique, le Pussycat. La programmation, finement recherchée, présente, pour la première fois, un alignement 100 % érotique. Selons plusieurs experts (et pas mal toute la sphère cinématograhique), Le pussycat (rebaptisé L’Amour en 81) est le pionnier en terme de salle de cinéma érotique au Québec. Encore aujourd’hui, la vocation d’antan est la même, ce qui en fait une des dernières vitrines en Amérique du Nord.

Mention «honorable » à la franchise Midi Minuit qui, avec une formule semblable, opérait trois adresses. Celle de la vieille capitale était nulle autre que l’Impérial Bell, soit le 252 Saint-Joseph Est.

Notons qu’historiquement et ironique- ment, l’établissement du Mile-End a manqué d’amour, surtout dans les années 40-50. À l’abandon pendant une durée indéterminée, le 4015 Saint-Laurent fera peau neuve, gracieuseté de Emmanuel Briffa, un décorateur de renom responsable de la renaissance du Rialto et du cinéma Beaubien. Maintenant, le design d’intérieur est un chouïa différent, par contre on y retrouve toujours un emblématique balcon en forme de fer à cheval.
L’Amour est aussi un sanctuaire musicalement intriguant, prisé par plusieurs artistes québécois.

En 2014, Philémon Cimon y présente un spectacle unique, accompagné d’un quatuor à cordes. Sinon, à l’été 2018, Lydia Képinski trouva refuge au L’Amour, l’instant d’un soir alors qu’elle présenta SADENIGHT, une formule exclusive. Le concert, en intégralité, est disponible sur Youtube.

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