Contourner le vent

Par Mélissa C Pettigrew

J’hésite souvent entre tout et rien. Avec mon voisinage, je ne discute pas. Je marche. Je leur envoie une de mes mains, la plus timide des deux, la droite. Pour ensuite m’en retourner. Tranquille.

*

Le ton que ma mère adopte lorsqu’elle parle des autres. Elle s’amuse. Depuis l’instant où j’ai saisi son langage, je me suis mise à retenir tout ce qu’elle dit.

Une telle

« est courageuse elle a six enfants »

Un tel

« n’est pas fier il va à l’épicerie en bottes à vache »

Un tel

« est mollasson c’est sa femme qui gère »

Une telle

« cuisine bien elle n’achète jamais de cannage »

Quand elle dit

« lui, il fait ses petites affaires »

c’est qu’elle ne le connait pas très bien

*

Je traverse la rue sans regarder

Derrière moi, mon terrain vide

Des zigzags dans la tête

Je marche

Déjà, les trottoirs blanchissent                     granite fondant

Déjà, l’atmosphère se refroidit

Et je me désole du désordre de mes voisins

des abris Tempo         des balises jaunes

des tapis de plastique éparpillés en bordure de route

des préparatifs que je ne comprends pas

 

Je préfère accepter que la neige gâche tout

que le sel brûle le gazon                   que ma voiture soit ensevelie

Je préfère marcher

toujours marcher

Pendant que mes voisins          eux          déploient leurs attirails

*

Mes parents n’ont jamais préparé le terrain

le vent ramasse les feuilles

et les arbres         sans protection       doivent survivre au poids de l’hiver

Chez mes parents                 un abri d’auto s’envolerait avec les feuilles

Chez mes parents                 ce n’est ni mon père, ni ma mère qui dirige

c’est le vent

 

L’hiver, lorsqu’il y a une tempête

les fenêtres crient

les garde-robes des chambres transpirent          le nordet la glace

et la porte d’entrée sombre sous une congère géante

*

La maison du coin de ma rue, un ancien bureau de poste

est la plus petite du voisinage

agréable à regarder

Sur son terrain, il y a un abri Tempo pour arbuste

Ses résidents ne m’apparaissent jamais

Quel genre de personne sont-ils ?

Ma mère trouverait sûrement les mots

mais moi, je quitte sans réponse

Mon voisin immédiat me salue                                  je le salue en retour

Il me sourit longuement                       je lui souris en retour

en refermant aussitôt la porte derrière moi

 

Je contourne le vent

et je retourne à mes petites affaires

 

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