L’actualité du film Network

Network est un film sorti en 1976, célébrant donc ses 45 ans cette année. C’est un film qui aborde des thématiques comme le sensationnalisme des nouvelles, l’importance des cotes d’écoute pour les cadres de l’industrie de la télévision, le culte de la personnalité, etc. Plongeons dans ce classique intemporel réalisé par Sidney Lumet.

Par Marc-Antoine Auger, journaliste collaborateur

C’est beaucoup de choses le film Network, gagnant à être vu et revu. C’est une comédie noire satirique qui raconte l’histoire d’un animateur de nouvelles du nom de Howard Beale (Peter Finch). Diana Christensen (Faye Dunaway), une femme pleine d’ambitions œuvrant au département de la programmation, veut produire des émissions sensationnalistes pour attirer le plus de cotes d’écoute possibles. Éventuellement, les deux vont être amenés à se croiser, et le film raconte majoritairement les tractations de tout ça.

Dans les premières minutes, on apprend que Beale sera éventuellement congédié. Peu de temps après, il annonce en débutant son bulletin qu’il se suicidera en direct à la télévision une semaine plus tard. Les gens de son entourage immédiat au travail, au lieu de s’inquiéter pour lui et de chercher à l’aider, le congédient aussitôt sans préavis.

Le culte de la personnalité

Ce n’est que partie remise pour Beale qui aura droit à une dernière émission où il pourra annoncer sobrement et simplement – nous dit-il – pourquoi il en est arrivé là. Au lieu de ça, pendant quelques minutes, il ne cesse de répéter le mot bullshit ad nauseam. Lorsque les producteurs l’entendent répéter le mot bullshit, certains veulent lui couper la parole. Ils semblent plus dérangés par ledit mot plutôt que par le fait que la télévision ne cesse pas de mentir ou encore de dire au public ce qu’elle veut entendre. Cependant, lors de sa tirade colérique, les cotes d’écoute grimpent. Cette petite sortie en règle lui permettra donc d’avoir sa propre émission où il pourra dire ce qu’il veut finalement, parce que des producteurs sont venus à lui en disant: « Veux-tu jouer en onde l’homme en colère qui dénonce les hypocrisies de notre temps ? » Il n’avait pas prévu ça, mais il accepte. Ironiquement, les producteurs n’étaient pas sans se douter qu’il profiterait de sa nouvelle tribune pour dénoncer l’hypocrisie des bonzes de l’industrie de la télévision.

Cette situation où Beale manque de se faire couper la parole en direct n’est pas sans me rappeler un incident qui s’est produit récemment. Après avoir perdu ses élections en 2020, Donald Trump s’est fait couper le sifflet en direct par trois grandes chaînes de télévision pas parce qu’il disait l’actuel mot bullshit, mais bien parce qu’il en disait, selon les dires des grandes chaînes. De mémoire d’homme, je ne crois pas que ça s’était déjà vu un incident pareil.

Par la suite, Beale crée un mouvement. La population qui le suit s’abreuve à ses paroles, chacune de ses émissions commence par le public qui scande: « We’re mad as hell, and we’re not going to take this anymore » (nous sommes furieux, nous ne sommes plus capable d’en prendre). En regardant le film, j’en suis venu à me demander, pourquoi la population est en colère ? Est-elle en colère juste pour être en colère, ou parce que les autres sont en colère ? Ou elle est en colère sans du tout connaître le fond de la vérité ? Le film pose plein de questions qui sont encore pertinentes aujourd’hui.

À un moment du film, Beale en vient à dire qu’il n’y a plus d’individu, plus de nation, plus de démocratie, parce qu’avec la mondialisation et les chaînes de télévisions achetées par des conglomérats, et les différentes populations qui sont de plus en plus suiveuses de ces émissions, elles sont de plus en plus uniformes. Tout ça est évidemment matière à débat. Dans un contexte comme celui-ci, il est d’une certaine manière évident que lorsqu’une personne se démarque et qu’elle a accès à une grande tribune, elle sera vouée à un certain culte. C’est un phénomène intemporel, celui du mimétisme dans une société. Jusqu’à quel point est-ce vrai ? il ne fait aucun doute que lorsque quelqu’un a du charisme et qu’il se fait un apôtre, un chantre de la vérité, des gens vont suivre. C’est le cas dans certaines sectes par exemple.

Une double réalité ?

Le personnage de Diana Christensen est particulièrement intéressant dans le film. Sa vie de tous les jours semble rythmée en fonction des cotes d’écoute. Elle développe une relation avec Max Schumacher (William Holden), un ancien producteur qui était le meilleur ami de Howard Beale. Leur relation nait lorsque ses émissions ont de bonnes cotes d’écoute, et se détériore lorsqu’ils en ont des mauvaises, et ce n’est pas une coïncidence. Dans leur relation, le sexe est bon lorsque ses émissions ont de bonnes cotes d’écoute. On a d’ailleurs un exemple dans une scène désopilante. On en vient à penser à un certain point qu’elle a perdu contact avec la réalité, qu’elle vit dans une de ses émissions, le film est fascinant à ce niveau-là. Rappelons qu’à sa sortie en 1976, la télévision est un phénomène relativement nouveau. La génération montrée dans le film est la première génération à avoir été élevée avec la télévision plutôt qu’avec le cinéma ou la radio. Dans le récit, l’industrie de la télévision est dépeinte comme destructrice, tout ceux qui entrent en contact avec le milieu y perdent leurs idéaux et leur âme d’une certaine façon. Chaque personnage que Christensen approche dans le film se comporte désormais comme une vedette exigeante et intransigeante, et se met à abuser de son pouvoir.

Les gens à la télévision montrent souvent une image d’eux-mêmes qui ne correspond pas nécessairement à la réalité. C’est surtout à ça que je fais référence en parlant de double ou deuxième réalité. Un exemple qui me vient rapidement en tête, c’est celui d’Ellen DeGeneres, qui à l’été 2020, avait été au coeur d’une controverse comme quoi l’ambiance sur le plateau de son émission était toxique, ce qui avait causé la démission de trois membres de son personnel. À la télévision, elle se montrait souvent comme étant était drôle, accessible, généreuse, ouverte d’esprit, etc., ce qui ne correspondait visiblement pas à l’image que les gens travaillant sur son plateau avaient d’elle.

Comme je l’ai dit au tout début, c’est beaucoup de choses le film Network. J’en ai dit pas mal dans l’article, mais je n’ai pas vendu d’énorme spoiler, le film reste donc à voir. La fin est absolument extraordinaire, le jeu des acteurs et actrices l’est également. Faye Dunaway avait remporté l’Oscar de la Meilleure actrice, tout comme Peter Finch pour l’Oscar du Meilleur acteur qui avait réussi l’exploit à titre posthume.

Consulter le magazine