L’information comme bien public

À l’automne 2020 paraissait, chez Somme Toute, Tombée médiatique : Se réapproprier l’information. Dans cet essai, le journaliste et auteur, Mickaël Bergeron, fait état des difficultés qu’éprouvent les médias traditionnels depuis plusieurs années. En abordant leur modèle d’affaires, leurs conditions de travail et leur rôle dans la société, il met en évidence et en contexte leurs failles, mais en profite aussi pour donner des pistes de solutions.

Par Jessica Dufour, journaliste multimédia

« Au carrefour de l’essai et du manifeste, du personnel et de l’universel, du découragement et de l’espoir, l’ouvrage se veut un plaidoyer pour que cette crise se transforme en opportunité», révèle sa quatrième de couverture. Appuyé d’exemples, de textes et de données, Mickaël Bergeron dresse un portrait de la situation, explique comment elle s’est détériorée et évoque les moyens de la redresser en quatre chapitres et 217 pages, un format concis et digeste pour tous les publics.

Crise financière

Selon l’auteur, le modèle économique actuel des médias basé sur le libre marché nuit à la qualité de l’information, et donc à la mission première des médias qui consiste à préserver la démocratie en questionnant le pouvoir en place, en dévoilant les failles de la société et en informant le public. Dans ce modèle, c’est au service des annonceurs que les médias se placent, tentant par divers moyens d’attirer l’attention du public plutôt que de l’informer. L’avènement d’Internet ayant renforcé cette tendance, les médias traditionnels doivent redoubler d’ardeur afin de préserver leur financement.

L’auteur explique comment ces difficultés financières peuvent mener à une dégradation dans la qualité de l’information : sensationnalisme, absence de couverture de certains sujets impopulaires ou qui coûtent trop cher comme l’international, omniprésence de l’opinion, qui demande moins de recherche et de temps qu’une enquête. Cette quête de rentabilité éloigne les médias de leur raison d’être, le mode survie les empêchant de bien exercer ce privilège qu’est de prendre la parole sur la place publique.

Perte de confiance

Pour Mickaël Bergeron, en effet, cette tribune vient avec des responsabilités que certain.es journalistes ou animateur.rices semblent ignorer. Il évoque notamment le cas des radiopoubelles de Québec, qui « adoptent […] [un] style polémiste et colérique » ou encore le phénomène des fake news. « À quel point les médias ont-ils perdu leur crédibilité pour se faire supplanter par des sites de fausses nouvelles? », demande-t-il après avoir constaté que « les médias ont failli à leur tâche ».

« À force de vouloir être rentables, les médias se sont parfois perdus entre la volonté de plaire et celle d’être pertinents. »

Le manque d’inclusion et de représentation font à son avis partie du problème. La plupart des journalistes étant majoritairement blanc.hes, diplômé.es de l’université et de la classe moyenne, le public peinerait souvent à se retrouver dans les angles et dans les sujets traités. C’est aussi ça, pour lui, la responsabilité des médias : donner une voix à la communauté, parler de ce qui la concerne, d’autant plus lorsqu’elle est marginalisée, ce qui implique d’accorder une plus grande couverture aux enjeux régionaux, de diversifier non seulement les sujets et les angles, mais aussi les journalistes.

Un nouveau modèle

Si son essai prend « des allures de manifeste », c’est visiblement parce que l’information, la démocratie et le bien commun lui tiennent à cœur. Et s’il ne prétend pas détenir la solution, Mickaël Bergeron se permet tout de même quelques suggestions quant au financement potentiel des médias et à leur façon de produire l’information.

Il incite entre autres à faire du « journalisme utile », c’est-à-dire qui « propose une analyse, un point de vue global, un historique, une explication ». L’accessibilité de l’information lui paraît également primordiale afin d’assurer une éducation populaire, en vulgarisant et en prenant en compte que les niveaux de littératie varient d’une personne à l’autre.

« […] l’éthique, l’humilité et l’écoute doivent accompagner les journalistes et les médias dans chaque décision. C’est ainsi que l’on sert le public. »

Mais comment servir le public s’il ne paie pas son information? L’auteur propose de reconnaître l’information comme un bien public, que les médias soient financés collectivement de diverses façons : « transformer les médias en OBNL », permettant un « mélange d’un important soutien de l’État, de l’appui de fonds et de revenus autonomes »; créer un Conseil de l’information qui octroierait des bourses aux journalistes comme le CALQ le fait pour les artistes; et taxer le GAFAM, ces géantes multinationales, pour « encadrer le partage du contenu créé [par] les artisans », par exemple.

Une vingtaine d’années à œuvrer dans le système médiatique québécois pour différentes entreprises et dans diverses régions a permis à Mickaël Bergeron de se faire une idée sur la situation. Autant dans ses chroniques que dans ses essais, il s’exprime clairement et de façon accessible, afin de faciliter la compréhension de son lectorat. C’est dans une optique de vulgarisation que son livre expose le fonctionnement des médias et leurs enjeux. Il n’essaie pas de redorer leur image, mais bien d’expliquer ce qui l’a dégradée.

Mickaël Bergeron est chroniqueur à La Tribune de Sherbrooke où il cherche à couvrir les angles morts, à connecter avec la population locale. Tombée médiatique est son deuxième livre après Ma vie en gros paru en 2019.

Photo par Ryoji Iwata

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