Photo par Lucie Bédet

Militantisme 2.0 : la lutte à l’ère du numérique

Du printemps arabe de 2011 à l’utilisation quotidienne de Twitter par le président américain Donald Trump en passant par le mouvement étudiant québécois de 2012, les réseaux sociaux sont maintenant au cœur de la communication politique.

Entre segments d’actualités, capsules documentaires, résultats sportifs et nouveaux artistes à découvrir, ils offrent maintenant de plus en plus de contenus et de possibilités. Ce n’est donc pas un hasard si la majorité des partis politiques et des groupes militants utilisent maintenant ces plateformes à la fois pour diffuser leur message et pour s’organiser.

Par Émile Bérubé-Lupien, journaliste multimédia

Des réseaux sociaux et politiques

« Au niveau politique, on parle de campagnes hybrides aujourd’hui alors que le numérique est partie prenante des stratégies de communication des partis politiques. […] Les partis politiques laissent une certaine ouverture à leurs militants, c’est-à-dire que ce sont eux qui doivent faire campagne, sur les médias sociaux numériques»,explique le doctorant en communication publique de l’Université Laval et membre-étudiant du centre interdisciplinaire de recherche sur l’Afrique et le Moyen-Orient, Bader Ben Mansour.

C’est ce qu’on appelle la théorie du « Citizen-initiated campaign », dans laquelle les militants vont donc avoir une certaine autonomie pour faire campagne et vont être encouragés à s’impliquer. Le doctorant développe également que plusieurs politiciens utilisent les plateformes numériques à des fins de « personnalisation », afin d’améliorer leur image publique et de paraître plus accessibles à leurs partisans.

« Les plateformes numériques contribuent à l’horizontalité des mouvements sociaux. C’est Internet qui permet de faire ça. »

« Tweeter » pour une juste cause

En 2011, les médias sociaux ont également joué un rôle déterminant dans de nombreux pays du monde arabe, rappelle M. Mansour.

« Au niveau des mouvements sociaux […] depuis 2011, depuis les événements du printemps arabe en Tunisie, on s’est rendu compte que les réseaux sociaux pouvaient avoir un rôle politique. Ils ont contribué de manière significative à la réussite de la révolution tunisienne. […] Au moment où, dans les dictatures les médias traditionnels ne partageaient pas l’information, les réseaux sociaux ont servi de couverture au mouvement. »

Un outil au cœur des mouvements citoyens

Au Québec aussi, les réseaux sociaux occupent un rôle-clé dans la mobilisation des groupes militants. Camille Poirot et Émile Charron-Ducharme font partie du mouvement écologiste « La Planète s’invite à l’Université Laval» et soulignent l’importance qu’ont les plateformes numériques sur les plans de la mobilisation, de la communication et de l’organisation.

Les membres du groupe utilisent notamment la fonction Drive de Google pour s’organiser. « Elle permet le partage facile des documents, du matériel de mobilisation et de fichiers organisationnels. On travaille ensemble à distance, sur des lettres, des communiqués et on synchronise les agendas d’actions, de mobilisation et de réunions », raconte Émile.

« La mobilisation par les réseaux sociaux permet de faciliter et d’accélérer le partage d’information et l’organisation des différents membres du collectif, en plus de nous donner une plateforme pour étendre la portée de notre message hors de l’université et de ses associations étudiantes », ajoute l’étudiant.

« C’est un grand vecteur de mobilisation. On travaille aussi avec les autres groupes qui défendent l’environnement, par exemple quand vient le temps de partager quelque chose sur les réseaux sociaux. On le fait tous en même temps, ajoute Camille Poirot. Ça permet d’avoir une communauté de gens que
tu peux toujours aller rechercher pour tes événements. »

Bader Ben Mansour souligne également que les médias sociaux constituent « des outils qui permettent de mobiliser beaucoup de personnes en très peu de temps avec très peu de moyens. »

Des ressources qui ont leurs limites

La mobilisation via les réseaux sociaux n’a pas que des bons côtés. Camille, par exemple, critique la façon de fonctionner des algorithmes sur Facebook : « La manière dont Facebook fonctionne nous met des barrières, parfois. Moi, par exemple, sur mon fil d’actualité, j’ai juste des trucs en environnement. Quelqu’un qui ne suit pas l’environnement et suit juste la musique rock, ça va plus être ça. Tu es laissé dans ta bulle de valeurs et tes valeurs à toi ne sont jamais remises en question. »

Émile, quant à lui, déplore le manque de fiabilité des réseaux sociaux et l’aspect très public de Facebook, qui « peut être nuisible lorsque des journalistes ou des gens mal intentionnés [s’introduisent] dans la mobilisation pour tenter d’en tirer profit. »

De son côté, le doctorant Bader Ben Mansour souligne que la désinformation est très présente sur le web. Il donne en exemple le cas de la Tunisie en 2011, alors qu’en plein printemps arabe, des internautes malveillants avaient fait passer des images d’une ville iranienne pour celle d’une ville tunisienne, tentant d’induire en erreur la population.

Nos trois intervenants s’entendent pour dire que même s’ils comportent leurs limites, les réseaux sociaux constituent une ressource précieuse pour les mouvements politiques et militants. Une situation que résume très bien Bader Ben Mansour : « Aujourd’hui on ne peut plus concevoir un mouvement citoyen sans qu’il soit organisé via les réseaux sociaux. »

 

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