Témoignage : Daltonisme, la dualité des perceptions

J’ai découvert que j’étais daltonien alors que j’étais haut comme trois pommes. Je me souviendrai toujours de ce moment, où pendant une période de dessin, en première année à l’école La Saumonière de Donnacona, l’enseignante Lise (ne la saluons pas) « m’ordonne » d’aider mon voisin de pupitre, Xavier. Xavier étant daltonien, presbyte, myope et portant des baies vitrées d’aréna en guise de lunettes. Bref, alors que nous colorions des animaux de la ferme, je donne à Xavier un crayon gris pour colorier un cochon rose, par inadvertance évidemment.

Par Gabriel Tremblay, journaliste multimédia

Vous comprendrez qu’au moment où l’enseignante constate la bévue dans le cahier de Xavier, elle viendra me sermonner injustement, pensant que j’avais joué un vilain tour à mon camarade. Ben non Lise, câline, j’étais un simple daltonien ignorant moi aussi. Je ne sais toujours pas ce qui m’a le plus déçu cette journée-là entre le manque de jugement d’une vieille chipie et la découverte de mon daltonisme.

Pour le commun des mortels, la condition du daltonisme est plutôt fascinante. Vous remarquerez que j’utilise le terme « condition » et non « maladie ». À mes yeux, je ne me considère pas « malade » parce que je ne vois pas les couleurs comme les autres. Mon quotidien n’est pas affecté, on s’entend là-dessus. Alors que je le qualifierais d’une crampe au cerveau perpétuelle, les scientifiques décrivent le daltonisme comme
une « simple » anomalie. En menant ma petite enquête, j’ai réalisé que ma petite particularité était très genrée. Effectivement, le daltonisme toucherait environ 8% des
hommes et plus ou moins 1% des femmes. Les chiffres sont très approximatifs considérant que Santé Canada, Statistique Canada et l’Ordre des optométristes du Québec se foutent du daltonisme. Avec raison, disons que ce n’est pas une priorité nationale. Malgré tout, on peut affirmer grossièrement qu’il y aurait 300 000 hommes québécois qui voient leurs couleurs tout croches.

Je vous invite donc à cette portion statistique qui distingue les différents types de troubles reliés au daltonisme. Pour ceux et celles qui auraient oublié leur cours de biologie de secondaire 3, voici un petit rappel sur la rétine. Notre oeil est composé de trois à quatre millions de cônes, qui, de façon très vulgaire, s’occupent de recevoir adéquatement la lumière dans nos rétines. On a aussi plein de bâtonnets, mais eux
s’occupent principalement de la vision nocturne. Bref, voilà vous comprendrez un peu mieux le principe lorsque j’écris « aucun cône ».

● Protanopie (1,3 % des hommes ; 0,02 % des femmes) : aucun cône distinguant le rouge ;
● Deutéranopie (1,2 % des hommes ; 0,01 % des femmes) : aucun cône distinguant le vert ;
● Tritanopie (0,001 % des hommes ; 0,03 % des femmes) : aucun cône pour les petites ondes (bleu, indigo, violet);
● Protanomalie (1,3 % des hommes ; 0,02 % des femmes) : les cônes rouges se mêlent et se mélangent ;
● Deutéranomalie (5 % des hommes ; 0,35 % des femmes) : les cônes verts se mêlent et se mélangent ;
● Tritanomalie (0,0001 % des hommes ; 0,0001 % des femmes) : tous les cônes pour les petites ondes se mêlent et se mélangent.

D’où vient le terme daltonisme?

Longue histoire courte un peu impertinente, le terme « daltonisme » vient originalement du physicien John Dalton. Évidemment, Monsieur Dalton ne voyait pas les couleurs correctement et s’est lui-même diagnostiqué ce trouble. Comme le daltonisme est une dualité des perceptions, Dalton a toujours affirmé qu’il était atteint de protanopie (absence de rouge) alors qu’après sa mort, les chercheurs ont réalisé, en analysant son globe oculaire, qu’il avait plutôt de la difficulté avec le vert. Dalton avait peut-être de la misère avec ses couleurs, mais ça ne lui a pas empêché d’élaborer la théorie atomique disant que la matière est composée d’atomes de masses différentes qui peuvent se combiner. Bref, John Dalton, c’était pas un deux de pique.

Pourquoi parler de daltonisme?

Est-ce que certain.es d’entre vous se demandent, pour l’amour du ciel, pourquoi ce texte sur le daltonisme?

Hé bien, lorsque le thème de la dualité a été choisi, j’ai tout de suite songé à une tonne de paradoxes, parallèles et contradictions de la vie courante.

Tel un philosophe/sociologue de salon, j’ai creusé une certaine réflexion sur ma condition oculaire. Sans élaborer exhaustivement sur l’allégorie de la caverne, je me disais que le fait d’être daltonien était, finalement, fortement influencé par mes pairs.

T’sais si je n’avais eu aucune interaction sociale depuis mon enfance, je n’aurais aucune maudite idée de mon problème coloré.

Si Crayola et leurs fameux crayons de bois ne m’avaient pas indiqué littéralement qu’un crayon rouge, ben c’est un crayon rouge, serais-je complètement inapte socialement?

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