Retrogaming, le retour à la bonne vieille époque

L’humain garde toujours une certaine curiosité pour ce qui est nouveau. La découverte de nouvelles expériences nous motive et nous fascine. Le film de l’année, le gadget dernier cri et la série de l’heure attirent les foules. D’un autre côté, l’on recherche également ce qui nous est connu et rassurant. Comme le ou la voyageur.euse vivant milles aventures en parcourant le monde, mais appréciant en particulier son chez-soi tranquille, le retour en territoire connu et à l’habituel nous apporte réconfort et quiétude. Là où le neuf et l’insolite apportent l’excitation, l’usuel et le familier apportent la paix. C’est pour ces raisons que nous aimons revenir vers ce que nous avons déjà vécu en relisant nos livres préférés ou en réécoutant un classique du cinéma. En plus de la nostalgie qui peut les accompagner, elles nous ramènent vers des expériences rassurantes. Dans le monde vidéoludique, rouvrir sa vieille console poussiéreuse pour refaire un énième marathon de son jeu pixélisé favori, on appelle ça du retrogaming, ou en français le rétroludique.

Par Ludovic Dufour, chef de pupitre société

Pour plusieurs joueur.euse.s, les jeux dont iels conservent les meilleurs souvenirs sont apparus durant une époque moins stressante de leur vie où leurs seules responsabilités consistaient à faire leurs devoirs et à se brosser les dents. C’est pendant l’enfance et l’adolescence que l’on développe nos goûts, qu’ils soient littéraires, cinématographiques ou ludiques. Les œuvres avec lesquelles on entre en contact à cet âge sont décisives quant aux genres qui vont nous intéresser par la suite et elles gardent fréquemment une place spéciale pour nous. Le rétroludique, c’est donc souvent simplement de revivre ces rencontres avec des jeux qui nous semblent si importants, mais il y a plus.

Le rétroludique, en plus de regrouper l’ensemble des nostalgiques du deux dimensions, attire une foule de curieux.euse.s d’une époque révolue. Nous n’avons pas toustes pu vivre l’ère des bornes d’arcade, tout comme nous n’avons pas toustes eu la chance d’aller voir Les Temps modernes au cinéma. Cela ne nous empêche pourtant pas de savourer le film. Nombreux.euse.s sont celleux qui s’adonnent donc au rétro pour visiter des jeux qui précèdent leur naissance, tant pour apprécier le jeu lui-même que pour constater l’étendue de son influence dans les médias.

Or, cette expérience est difficilement abordable. Alors qu’il suffit d’aller dans une bonne vieille bibliothèque pour trouver un Victor Hugo ou un Émile Zola, mettre la main sur une Neo Geo est bien plus ardu et bien plus onéreux. Bien que certain.e.s se fassent un plaisir à monter leur collection de bornes d’arcade, de consoles et de cassettes, les prix et l’accessibilité en rebutent plusieurs, en plus qu’il faille dénicher des téléviseurs compatibles avec ces systèmes antiques.

Console de 4e génération développée par la compagnie japonaise SNK en 1990. Disponible à la fois en version borne d’arcade et console de salon, c’est aujourd’hui l’une des consoles les plus difficiles à obtenir. Les cartouches les plus rares peuvent parfois se vendre à plus de 1000 dollars.

Pour éviter ces contraintes, des joueur.euse.s font appel à l’émulation. En utilisant certains programmes informatiques, il est possible de simuler une console sur son ordinateur ou sur une autre de nos consoles. De cette manière, on peut avoir toutes les vieilles machines que l’on désire facilement. Il suffit ensuite de se procurer la ROM, c’est-à-dire les données d’un jeu. Ces codes sont cependant protégés par le droit d’auteur. Leur distribution est donc illégale, ce qui n’empêche pas plusieurs sites pirates d’offrir des liens de téléchargement aux intéressé.e.s. 

Certain.e.s vont encore plus loin en allant reprogrammer la ROM. De cette manière, les fans apportent leur propre touche à leurs jeux favoris, parfois en traduisant des jeux étrangers ou en proposant des retouches graphiques, d’autres fois en ajoutant des niveaux complets ou une histoire radicalement différente du scénario original. Ces modifications permettent aux joueur.euse.s d’aller au-delà de ce que les développeur.euse.s avaient prévu et de revisiter des classiques d’une manière complètement nouvelle, tout en gardant la base unique du titre.

Les boîtes de développement, bien au fait de cette masse avide de rétro, proposent à leur tour de redistribuer leurs meilleurs jeux tirés des anciennes générations. Nintendo, doté d’un long catalogue de jeux rétro dont plusieurs francs succès, offre avec ses abonnements en ligne l’accès à de multiples titres de NES, de SNES et, pour un extra, de Nintendo 64. On crée aussi de plus en plus de portages et de remake, par exemple celui de Final Fantasy 7 ou de trois premiers Spyro disponibles sur Steam. 

Ces trois consoles marquent tour à tour leur génération. D’abord la NES (Nintendo entertainment system) en 1983. Après un succès retentissant au Japon, elle a droit à son lancement en Amérique du Nord en 1985 où elle revitalise le marché américain qui traverse alors une crise. La SNES (Super Nintendo entertainment system) arrive pour sa part en 1990 et la Nintendo 64, en 1996, marque l’arrivée du trois dimensions.

Nostalgie, certes, mais pas que

On parle de nostalgie en évoquant le rétroludique, oui, mais la vieille époque des bornes d’arcade, du 16-bit puis du début du trois dimensions, c’est bien plus que quelques souvenirs. D’abord, chaque génération de console apporte sa propre esthétique, certainement vieillotte, mais qui sait tout de même garder son charme. Poussé.e.s par les limitations techniques des consoles, les artistes devaient travailler avec des moyens extrêmement réduits pour traduire leur vision, pixel par pixel. Le pixel art est aujourd’hui marginal, les jeux à gros budget étant dotés de graphiques toujours plus réalistes. Pourtant, réalisme ne rime pas forcément avec beauté : les pixels arts colorés sont parfois bien mieux que la terne réalité.

La musique suit le même parcours. Les obstacles techniques des premières consoles permettaient peu de sons simultanément et poussaient à bout la créativité des compositeur.rice.s. Malgré ces restrictions, plusieurs des thèmes les plus iconiques du jeu vidéo ont fait leur apparition lors de cette période. Bien sûr, personne ne souhaite vraiment troquer les orchestres grandioses que la technologie moderne nous permet d’apprécier pour de modestes chiptunes. Néanmoins, la disparition quasi complète de ce genre est regrettable pour plusieurs.

Toutefois, c’est avant tout l’originalité de ces antiquités qui amène les passionné.e.s à effectuer un retour. À l’époque, les codes du jeu vidéo ne sont pas encore bien définis. Les dévelopeur.euse.s doivent elleux-mêmes inventer les règles entourant leur création. Rien n’est admis d’avance et tout peut être fait. Certes, cela signifie que certains choix de design seront douteux, mais d’autres seront parfaitement uniques. En bref, il n’y a pas de moule et cela force la créativité. Chaque nouvelle sortie peut impliquer la naissance d’un genre inédit ou l’apparition d’une série à succès. Le passage au trois dimensions apporte à son tour son lot de questions, par exemple la gestion des mouvements et le positionnement de la caméra, mais à la longue on répond à ces questions. Progressivement, les jeux deviennent semblables, les mécaniques se répètent et les grands studios pariant des millions de dollars sur leurs gros titres n’osent plus prendre autant de risques.

De plus, avec la transition vers le trois dimensions, certains genres uniques aux jeux deux dimensions seront laissés de côté par les compagnies. Par exemple, les rails shooter ont presque complètement disparu et demeurent confinés à quelques vieilles bornes d’arcade.

Le rail shooter est un sous-genre du jeu d’action où le ou la joueur.euse ne contrôle que l’arme du personnage en suivant un parcours prédéfini comme s’iel était sur un chemin de fer.

En raison de tout ce qui entoure le rétroludique, on peut avancer que ce n’est pas qu’une question de nostalgie et même que ce n’est pas non plus une question d’époque. En effet, on considère que les consoles de sixième génération (Game Cube, Xbox, Playstation 2) sont modernes, alors que celles venues avant sont rétro. On pourrait logiquement s’attendre à ce qu’avec le temps, cette frontière recule et qu’un jour viendra où jouer à Elden Ring  sera de l’ordre du rétroludique. Cependant, considérant les aspects bien particuliers qui enveloppent ces 5 premières générations de consoles, je crois que la délimitation restera assez claire. Dans 40 ans, Mario Bross ne ressemblera pas plus à Red Dead Redemption 2 qu’aujourd’hui et si on les estime tous deux comme rétro, ce sera dans des cases bien séparées, car ils n’évoquent simplement pas du tout la même ère.

On se rappelle souvent que ces vieilles périodes donnaient naissance à de bien meilleurs jeux que ce qui se fait de nos jours, et c’est l’impression qui peut se dégager de cet article, quoique, bien franchement, ce serait ingrat envers nos créations modernes. Bien que l’on se passerait avec joie de beaucoup d’éléments associés aux titres récents, notamment l’abus de microtransactions, il ne faut pas oublier que la « bonne vieille époque » avait aussi ses défauts, même si l’on se souvient plus facilement de l’excellent GoldenEye ou Metroid que de l’exécrable Superman 64. Cela nous amène à une vision idéalisée de ce passé.

Heureusement pour les fans du rétro, les petits studios redonnent vie à certains genres abandonnés par les grand.e.s joueur.euse.s de l’industrie. En plus de viser un public de niche négligé, cette approche leur permet d’économiser sur les graphiques et les effets sonores. Cette forme de néo-rétro ressuscite ces éléments uniques qui ont marqué toute une génération. Le nouveau rencontre le vieux, une sorte de mariage entre classique et moderne, au plus grand plaisir des nostalgiques.

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