Pendre le fictif pour révéler les non-dits : le milieu carcéral aujourd’hui

Pour faire suite à l’article sur la peine capitale au Québec, Impact Campus s’est entretenu avec Johane Martel, directrice des programmes de 3e cycle en service social et professeure à l’Université Laval, sur le milieu carcéral. On se penche sur les conditions d’incarcération aujourd’hui dans les prisons du Québec.

Par Léonie Faucher, rédactrice en chef

L’incarcération à vie : la nouvelle peine de mort

En 1976, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau abolit la peine de mort et implante l’incarcération à vie de maximum 25 ans pour compenser. Principalement, parce que quand les tests d’ADN et les techniques policières se sont développés, on a constaté l’innocence de plusieurs condamnés à mort. Cela a semé le doute vis-à-vis de la pertinence de la peine capitale dans l’opinion publique. C’est cette avancée dans les recherches en criminologie qui démontre, selon Johane Martel, que la peine de mort ne dissuade pas les criminels : « La philosophie de la dissuasion est basée sur l’idée de la rationalité humaine. C’est-à-dire, si on pense qu’on est capable de dissuader quelqu’un, c’est parce qu’on est convaincu que la personne est rationnelle en tout temps. Donc, avant de commettre un acte, la personne va évaluer les coûts et les bénéfices. À ce moment, elle est suffisamment rationnelle pour prendre une décision. La grande majorité des crimes n’est pas basée sur cette philosophie. Ils sont généralement commis sous influence, alcool et drogues, ou sous l’influence d’une passion, d’une émotivité. Alors, la rationalité disparaît. L’argument de la peine de mort qui dissuade les gens ne tient plus et n’a jamais été prouvé. »

Lorsque le Canada passe au gouvernement Harper, celui-ci ajoute les peines de prison à vie consécutives : «Avant, la peine maximale était de 25 ans, qu’on ait commis un ou deux meurtres. Maintenant, ça peut être 50 ans pour deux meurtres et 100 ans pour quatre meurtres. Stephen Harper a permis de faire ça ; c’est très américain. On a tout perdu le côté progressif, on retourne 50, 60 ans en arrière au niveau de la pratique pénale.»,
raconte Johane Martel. Ce qui distingue le Canada des États-Unis, c’est que la population canadienne croit à la réhabilitation des humains, surtout des plus jeunes. Dans le droit anglo-saxon, l’individu doit avoir accès à une série d’appels de la décision. Le processus pour l’ensemble de ces appels peut facilement durer 20 ans avant la mise à mort :

« Donc, une peine à vie [de 25 ans], c’est une peine de mort symbolique. On ne tue pas la personne
physiquement, mais en l’envoyant en dedans, on tue toutes ses habiletés sociales », rapporte la professeure.

Ce qui se passe après la peine à perpétuité

La sentence à vie peut, dans certains cas, se raccourcir. En effet, le juge peut déterminer un nombre d’années à effectuer selon le dossier après lesquelles le prisonnier peut demander une libération conditionnelle. Elle peut lui être refusée. Johane Martel relève que « si le prisonnier sort après 25 ans, on lui remet les vêtements qu’il avait en arrivant et ses économies faites en dedans en travaillant avec un maigre salaire, on ouvre la porte et on dit bye bye. Il n’y a pas de surveillance, pas de service de réhabilitation. Ce qui arrivent souvent, c’est que ces gens-là se retrouve itinérants. S’ils étaient sortis avant en libération conditionnelle, sous surveillance avec un agent de libération correctionnel, ils auraient eu accès à des services et un réseau d’organismes communautaires pour
se trouver un logement et un emploi comme filet social. Les organismes s’assureraient qu’ils réussissent peu à peu leur réhabilitation sociale. Ce n’est pas à l’avantage de la communauté d’attendre à la dernière minute avant qu’une personne sorte de prison. Toutes les statistiques du bureau des libérations conditionnelles du Canada prouvent très bien que ça fonctionne. Les taux de succès en libération conditionnelle c’est dans les 96 à 97 % de non-récidive. »

« Moi, je dirais qu’on a aboli la peine de mort comme peine spécifique dans le 
droit criminel, mais on n’a pas aboli la peine de mort symbolique. On l'a 
transformée. Je ne suis pas prête à dire qu’on a aboli la peine de mort au 
Canada », mentionne l’enseignante.
L’imaginaire des prisons : Alcatraz et sécurité maximale

L’image sombre et violente du milieu carcéral est confortée par les représentations montrées au public. Johane Martel rapporte que « ce qui est beaucoup moins vrai dans la filmographie, c’est quand les films ou les séries présentent des gros méchants en prison. C’est plate à mort la prison, c’est ennuyant, il ne se passe rien ! Tous les jours sont identiques. C’est vrai qu’il peut y avoir du trafic d’influence avec de l’intimidation, mais pas souvent. Montrer que l’entièreté des gens incarcérés sont des gros méchants qui se battent n’est pas la réalité. »

En réalité, le système carcéral est basé sur un schéma tripartite qui se veut méritoire des bons comportements. Les prisons fédérales comportent trois modèles : la sécurité minimale, la sécurité moyenne et la sécurité maximale. Parce qu’il n’y a pas de périmètre de sécurité dans les prisons à sécurité minimale, les prisonniers ont mérité leur place en respectant leur plan correctionnel. Puisqu’ils seront bientôt libérés, la sécurité minimale leur permet de sortir le matin pour travailler, faire du bénévolat ou autres occupations, et revenir le soir afin de s’habituer à être en contact avec la société.

En sécurité moyenne, encore une fois, les prisonniers ont mérité d’être là, mentionne Johane Martel en rappelant que « si jamais il y a une occasion qui se présente pour s’évader, ils pourraient la prendre, mais ils n’ont pas de plans d’évasion contrairement à ceux en sécurité maximale. »

En sécurité maximale, aucun programme de réhabilitation sociale n’est offert. Il est en vigueur seulement en détention moyenne. « Les prisonniers incarcérés à vie sont souvent en détention maximum. Harper a changé la loi et a fait en sorte que toute personne condamnée à une sentence à vie doit purger les deux premières années de son incarcération dans une prison à sécurité maximum. C’est comme rester dans le pavillon De Koninck, 24 heures sur 24, pendant des années, dans une cellule plus petite que mon bureau. », ironise-t-elle.

« Pleins d’études démontrent que l’isolement dans une cellule 23 heures sur 24 développe des troubles de santé mentale majeurs. L’être humain n’est pas fait pour être isolé, c’est un être social. Il y en a qui purgent leur peine complète en sécurité maximum ! Moins maintenant, parce que le gouvernement s’est réveillé avec Justin Trudeau qui a changé les lois, ce qui fait que maintenant on ne peut plus retenir quelqu’un plusieurs années en sécurité maximale », spécifie Johane Martel.

Rats et Unité 9

En ce moment, les femmes incarcérées au Québec ont changé de lieu de détention à la suite de la fermeture de la prison Tanguay qui était insalubre (rats, moisissure et maladies). Elles ont été déplacées dans une prison fédérale pour hommes anciennement fermée car jugée trop archaïque. « Les femmes sont parties d’une prison désuète avec des rats et de la moisissure pour une prison désuète avec des rats et de la moisissure. Aujourd’hui en 2019, elles vivent là. C’est mon opinion professionnelle, mais c’est honteux qu’une société fasse subir des choses comme ça dans les prisons et les pénitenciers au Québec et au Canada. J’ai honte d’être québécoise, maintenant que je sais que les femmes vivent comme ça depuis 2016. », évoque la professeure.

Manger en prison comme les étudiants

En prison, le plan alimentaire est basé sur trois semaines de repas qui se répètent durant l’année. « Aussi, ils vont surement manger des restants, si il reste du boeuf le lundi, ils vont manger du boeuf le mardi. Les détenus chialent qu’ils mangent des restants, mais n’importe quelle famille du Québec mange des restants, c’est pas pire parce que tu es en prison. Même dans les résidences universitaires, avec le meal plan, il y a des restants »,indique l’enseignante. Cependant, si le détenu a de l’argent personnel, il peut aller à la cantine (un dépanneur à l’intérieur de la prison tenu par des prisonniers) se chercher des chips ou de la liqueur.

« L’idée que ça mange du T-bone et du homard, il faut expliquer cette idée-là. 
C’est qu’à Noël, une fois par année dans les prisons fédérales, les prisonniers 
recevaient une liste d’épicerie de nourriture qu'ils ne mangent jamais d’habitude. 
Avec leur argent personnel, ils pouvaient se commander des aliments. C’est dans 
ces listes-là que se trouvaient les fruits de mer congelés et les viandes de 
qualité s’ils avaient les moyens. Le service correctionnel fédéral a beaucoup 
réduit la liste pour répondre aux demandes du public, qui critiquait la qualité 
de la nourriture en prison. Les agents correctionnels et ceux qui travaillaient 
là savaient que ce n’était pas vrai. », explique Johane Martel

 

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