La réalité des Québécois sous l’aide sociale : David Dufresne [2/3]

En 2017, 3,4 millions de Canadiens, soit 9,5 % de la population, vivaient dans la pauvreté. Impact Campus a rencontré trois personnes bénéficiaires de l’aide sociale et a cherché à dépeindre leur réalité. Loin des clichés et à coeur ouvert, ils témoignent sur leur parcours et leur quotidien.

Photos et témoignages par Lucie Bédet, journaliste multimédia

DAVID DUFRESNE, 50 ANS, 648 $ PAR MOIS 

« Quand j’ai déménagé à Québec, je me disais que ça serait temporaire, pas plus de deux ans, que j’allais retourner sur le marché du travail. Puis finalement depuis 2008, je suis là.

J’ai travaillé pour une compagnie de transport et j’ai fait un burn-out. J’ai fini par vouloir quitter ma job. Techniquement, j’étais supposé avoir du chômage mais en dépression, je n’ai pas fait la demande. Ça a trainé pendant plus d’un an et arrivé à l’aide sociale, ils m’ont dit qu’il fallait que je fasse ma demande de chômage. Ils m’ont redonné la somme de façon rétroactive et après ça, je suis retourné à l’aide sociale. 

Au début, je pensais que j’allais reprendre le travail par moi-même, que ça n’allait pas durer. À un moment donné, j’ai vu que j’aurais besoin de plus, donc j’ai eu de l’aide médicale et financière mais j’ai demandé l’échelon de base (648 $/mois). 

La première fois que je suis allé à l’aide sociale, je ne voulais pas aller là. Tous mes amis, tout le monde, même moi je disais « maudits BS, moi, je demanderais jamais ça l’aide sociale ». Et là, tu te ramasses sur le chômage, c’est déjà compliqué à accepter. Tu n’arrives pas à retrouver une job et il arrive que pour X raison, ton chômage s’épuise. Tu y fais face et tu piles sur ton orgueil ou tu te fais aider par les autres. 

C’est un choix qui est dur : tant que tu es malade, tu veux te faire vivre par l’État ou par tes proches ? Tu ne veux pas être un poids. Pour aucun des deux. Tu fais la part des choses et tu choisis. Je suis un homme, j’ai travaillé, je ne retournerai pas vivre chez mes parents.

Éviter les dettes

Les dettes, tu t’organises pour ne pas en avoir, parce que ça, c’est un enfer. Alors, j’ai des difficultés financières, ça touche tout, mais c’est sûr que je priorise. La première affaire à payer, c’est le loyer. Ça prend un toit sur la tête, puis manger, payer les factures et normalement, il ne reste pas beaucoup.

Des ressources existent, comme la Maison de Lauberivière. Ça fait quasiment dix ans que je vais manger là. Tu as un repas pour 75 sous. La première fois que tu y vas, tu prends un coup dans ton orgueil. On est en train de manger, j’ai ma face dans ma gamelle et le gars en avant de moi se donnait des claques dans la face. Tu veux pas être là et ça, c’est pratiquement le quotidien de Lauberivière. Mais j’avais faim, ça faisait deux semaines que je mangeais juste du pain. J’y suis allé. Ils m’ont fait crédit. Tu te mets de quoi dans le ventre. Tu rencontres aussi du monde qui sont intéressants pareil, c’est pas tous des malades mentaux.

Il y a aussi le Café rencontre, les centres de la charité… Il y a aussi Moisson Québec, une distribution alimentaire qui est vraiment bien. Avoir le plaisir de cuisiner, de choisir si tu manges plutôt des pâtes ou du riz, ça égaie un repas.

Stigmatisation et isolement

De façon générale, dans la société, quand quelqu’un a envie de chialer contre quelque chose, c’est tout le temps « maudits BS, maudits BS ». Tu ne veux pas te ramasser là parce que tu ne veux pas être celui que tout le monde dénigre. 

Une fois que tu es là, tu es pogné dans la roue, c’est un cercle vicieux, tu ne veux pas être là, tu ne veux pas que les autres le sachent. Tu t’isoles.

Demander de la charité, c’est vraiment en dernier recours. Au début, certains amis te prêtent de l’argent et disent « ne me rembourse pas, t’inquiète pas », ça met mal à l’aise. Tu dépends des autres, tu veux être autonome et ne peux pas l’être. Puis, ça s’effrite et tu ne vois plus de monde. 

Ça a l’air niaiseux de payer un café à un ami, mais ça te coûte plus qu’une pinte de lait qui te dure deux jours. Trois pièces par jour, ça fait déjà 90 pièces au bout du mois… Quand tu vis avec 500 dollars par mois, divise ça par jour : tu verras que le café, tu le prendras chez vous et tu prendras de l’instant’. »

Crédits photos: Lucie Bédet

Consulter le magazine