Photo: Julie-Anne Perreault

Une ferme pas si rustique

Le régionalisme signifie souvent de s’abonner à un panier bio pendant l’été, deux trois fromages d’ici et une conserve recouverte d’un graphisme pseudo-rétro. Nous avons tous écouté au moins une fois la chanson Dégénérations de Mes Aïeux en se disant que ce serait bien de quitter nos forêts de béton pour retourner à la terre, vivre de nos mains et se donner la chance de manger mieux que le poulet impersonnel et anonyme, engraissé sur cinquante centimètres carrés et ayant une texture un peu douteuse en bouche que nous sommes sur le point de saisir dans le comptoir réfrigéré d’une épicerie près de chez nous. Habituellement, après un moment, on se contente de hausser les épaules avec un soupir, poser le poulet dans le panier par dépit et on continue de dévaler les allées en pensant à la sauce sans nom qui pourra le mieux en cacher le goût dans un mélange vulgaire, mais habile, de sel et de sucre. Si on déglace son palet avec deux trois Joe Louis à la fin du souper, tout cela passe mieux qu’on pourrait le croire.

Pourtant, certains font preuve de plus de courage que nous et ne se contentent pas du gâteau Vachon de la banalité. Ils grandissent avec un rêve, se jurent qu’un jour ils auront une terre, malgré le fait qu’ils tueraient même le cactus sur le cadre de la fenêtre de leur appartement. Pour eux, le local n’est pas juste un terme tendance, mais un mode de vie, une philosophie.

Nous sommes allés à la rencontre de l’une de ces personnes. Alexandre Landry, 36 ans, gradué en agronomie de l’Université Laval, agriculteur de première génération et fondateur, avec sa conjointe Élisabeth Grenier, de la ferme rustique, une ferme familiale, locale et éco-responsable. Comme plusieurs autres jeunes de leur génération, ces citadins ont quitté le confort de la ville pour aller braver la campagne et produire autrement. Nous avons demandé à l’agriculteur ce qu’il fait de différent, pourquoi, comment ? Quelques conseils pour ceux et celles qui seraient tenté(e)s de suivre ses pas.

Impact Campus : Depuis combien de temps êtes-vous dans l’élevage et que produisez-vous ?

Alexandre Landry : Ma conjointe et moi, tous deux diplômés en agronomie, avons fondé la Ferme Rustique en 2007. Notre ferme est familiale et prône des pratiques agricoles durables, le respect de la terre ainsi que l’élevage soucieux de ses animaux. Nous produisons du boeuf à l’herbe (un boeuf nourri à même le pâturage), du porc engraissé aux légumes, du poulet fermier et des citrouilles. Nous détaillons nos produits à plus de 150 familles et à trois restaurants de la grande région de Québec.

I.C. : Qu’est-ce qui distingue vos méthodes de production ? Cela change-t-il quelque chose au produit ?

A.L. : Nous nous sommes inspirés des méthodes d’élevage d’antan et nous tentons d’être le plus écologique possible dans notre approche de production. Nous sommes passionnés par notre métier et soucieux du bien-être de nos animaux. Tous sont élevés en stabulation libre, selon leurs envies. Ils peuvent aller prendre l’air quand bon leur semble. Ils ont de l’espace pour marcher, se reposer, s’amuser et même écouter de la belle musique !

Plus précisément, nos veaux sont nourris seulement au foin et au lait de leur mère et ont accès à l’air pur, été comme hiver. L’été, nos bovins sont nourris à même le pâturage et sinon, seulement de fourrages. L’alimentation exclusive à l’herbe de nos bêtes donne un goût nettement supérieur à la viande. Cela fait aussi que nos productions fourragères sont autoconsommées.

Pour ce qui est des porcs, plus de la moitié de leur alimentation provient de légumes que nous cultivons pour les nourrir. Ils se régalent de citrouilles, de zucchinis et de pommes. Cette alimentation spéciale permet, là encore, de produire une viande de qualité nettement supérieure. Ces petites façons de faire peuvent apparaître comme des détails mais au final, c’est ce qui nous permet d’avoir des produits qui se démarquent par leur goût, leur tendreté et la qualité obtenue.

I.C. : Avec quels fonds avez-vous commencé ? Était-ce suffisant ? A-t-il été difficile de convaincre une institution financière de vous appuyer ?

A.L. : Pour se lancer en agriculture, il est nécessaire d’économiser bien avant de débuter son projet agricole. Tout jeune désirant démarrer en agriculture doit avoir un plan d’affaires qui décrit ses activités, qui comprend une analyse du marché, un plan de commercialisation, une budgétisation des besoins financiers et en équipement et des prévisions réalistes. Il faut croire à son projet, être capable de prendre les critiques et commentaires afin d’avoir un argumentaire solide pour convaincre les organismes et créanciers dans les démarches de demandes de prêts, d’aide financière ou de subventions. C’est important d’en parler à son entourage car les conseils sont précieux.

Avant de trouver le site idéal, nous avons cherché pendant plus de cinq ans pour saisir l’occasion qui allait respecter notre vision et notre capacité financière. C’est à Ste-Croix-de-Lotbinière que nous avons trouvé l’endroit idéal. Cependant, il fallait avoir de l’imagination, de la volonté, puisque lorsque nous avons commencé en 2007, tout était à refaire !

Il y avait des arbres qui poussaient dans la grange, la maison était délabrée et plusieurs bâtiments étaient à l’abandon. Avec l’aide de nos proches et de nos amis, nous avons entrepris de gros chantiers : reconstruire la grange, rénover la maison et ériger des bâtiments nécessaires pour vaquer à nos occupations agricoles. Nous travaillons aussi à temps partiel en même temps à l’extérieur, ce qui est assez courant, et qui permet de donner une chance à l’entreprise de démarrer et d’avoir plus de fonds pour du développement.

Au fil des ans, tranquillement, notre projet a pris forme et nous avons même trouvé le temps d’embellir notre projet de vie avec un trio de garçons. Cela peut paraître secondaire par rapport à l’entreprise, mais pas pour nous, car le concept même d’une ferme familiale est que le travail et la famille ne fassent qu’un, ne s’excluent pas, contrairement à une vision plus traditionnelle du travail. Que l’un et l’autre se bâtissent mutuellement.

I.C. : Est-ce que vous avez trouvé vos premières années difficiles, et est-ce plus facile maintenant ?

A.L. : Un démarrage d’entreprise, c’est inspirant, dur, énergivore, mais tellement motivant. Les cinq premières années sont synonymes d’apprentissages, d’essais et erreurs et de révision de nos façons de faire. Parfois, on a envie d’abandonner car le stress est élevé et la fatigue aussi. C’est l’expérience qui rentre !

Au fil des années, on s’adapte tout en gardant une vision de nos objectifs. C’est important de visualiser vers où on veut aller avec la croissance de l’entreprise tout en tentant de garder un équilibre pour la famille.

Comme disait Laurent Genefort, « la pensée naît du doute ». Même après dix ans en production, on se questionne souvent. On analyse les options, on calcule énormément afin de faire des choix éclairés. Le doute est un bon moteur !

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