Je ne peux que marquer la distance

Je ne peux que me dissocier d’un geste posé par l’organisation à laquelle j’appartiens encore fièrement.

La publicité publiée par l’AELIÉS dans les pages d’Impact Campus faisant la promotion et invitant à «partager l’expérience» du «multiculturalisme», lors d’une soirée qui s’est tenue au Grand Salon le 24 septembre dernier, m’a placé dans une position plus qu’inconfortable.

Mes engagements passés et présents envers la reconnaissance et le respect de la diversité culturelle des origines de mes nombreux(ses) ami(e)s Québécois(e)s «qui nous ont fait l’honneur de choisir le Québec pour y demeurer», et sont ici ou «bien enraciné(e)s», ou encore «en processus d’enracinement», m’obligent à prendre mes distances par rapport à cette formulation très malhabile.

Pour celles et ceux qui veulent comprendre en quelques mots le fond de la question, et je défie quelque sommité que ce soit de développer en aussi peu de mots une explication, sans les nombreuses pages de nuances qui s’imposeraient. Voici, à mes risques et périls.

Le pacte qui a présidé à la création du Canada actuel (je fais ici référence à la Confédération canadienne de 1867), a été négocié avec des discours relatifs aux «deux peuples fondateurs», ce qui demeure une interprétation encore vivace au Québec. Cependant, cela ne plaisait pas à un certain P.-E. Trudeau, ex-premier ministre du Canada. Celui-ci s’est exprimé sur la question bien avant de devenir premier ministre (voyez dans Cité libre, dès les débuts de ce périodique).

Ce politicien aux convictions bien affirmées, visant à diminuer l’importance et l’influence du Québec au Canada, a utilisé largement ce «multuculturalisme», concept philosophique étroitement idéologisant, pour faire des Québécois «une minorité parmi d’autres» au Canada. Il faut relire attentivement la Charte des droits et libertés du Canada introduite dans la constitution lors de sa «traversée de l’Atlantique», en 1982, pour voir l’empreinte de l’ex-premier ministre et les fins qu’il poursuivait. Qu’il me suffise de mentionner l’énumération qui y est faite des droits exclusivement individuels et l’absence complète de références à de quelconques droits collectifs.

Le point de vue de cet ex-premier ministre était, même à l’époque, très loin de celui exprimé par la Commission Laurendeau-Dunton, qui avait alors étudié cette question.

En réponse aux mises en place au Canada des diverses politiques qui suivirent, les différents gouvernements québécois ont élaboré, de façon plus démocratique, des politiques basées sur un autre point de vue philosophique: l’interculturalisme. Cela veut dire, encore une fois très brièvement, que les gouvernements qui se sont succédés au Québec étaient plus favorables à des politiques basées sur la promotion des relations fécondes et constructives entre les personnes et les groupes provenant de cultures très diverses qu’à la promotion des différences et le cloisonnement (la fermeture à l’Autre).

Pour terminer, je réitère que je ne peux que me dissocier de mes collègues qui, sans doute, sans mauvaise volonté et sans imaginer les dessous de leur langage, ont élaboré le contenu de cette publicité. Mon avis est que l’AELIÉS, comme toute autre organisation représentative, se doit, oui, de faire de la politique (ce mot ne mord pas), mais elle doit le faire de façon non partisane. À mon avis, nous aurions dû lire dans la publicité : «Venez partager une expérience célébrant la “diversité culturelle” comme source d’enrichissement mutuel.»

Je comprends très bien la situation de mes ami(e)s «étudiants étrangers» qui n’ont pas comme projet d’immigrer ici au Québec, celle d’avoir de la difficulté à situer cette question «très canadienne». Sauf que je crois fermement qu’une institution comme l’Université Laval doit se situer «dans la cité» et que cela vaut plus que le papier sur lequel cette politique est écrite…

Renaud Blais
Administrateur à l’AELIÉS

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