L’université kafkaïenne

Le manque de volonté politique qui sévit au 16e étage de la tour de l’éducation brille, encore une fois, de mille feux. Le rectorat, muré dans son silence habituel, se cache derrière un contrat aux clauses secrètes, question de ne pas avoir à prendre position en faveur d’une initiative étudiante et de dépersonnaliser une affaire dont il pourrait pourtant détenir la clé.

L’avenir du projet de café étudiant au pavillon La Laurentienne (voir notre article en p. 3) semble, à l’heure actuelle, dépendre du recteur Denis Brière et de son bras droit, Éric Bauce. Depuis la saga de 2005, qui a opposé la multinationale Sodexo à l’entreprise étudiante l’Entithé dans l’octroi de concessions alimentaires sur le campus, les ententes d’exclusivité conclues avec Sodexo et Laliberté ne doivent plus, théoriquement, limiter le développement des cafés étudiants. C’est la bien mince consolation qu’avaient obtenue les étudiants lorsque la compagnie française avait reçu la préférence de l’Université Laval.

Or, malgré tout, l’administration laisse aujourd’hui aux compagnies le mot final sur le projet. Il doit y avoir consensus entre les étudiants et le détenteur de la concession alimentaire du pavillon, Laliberté, pour que le café des sciences de l’éducation ouvre ses portes. D’ores et déjà, Laliberté est fermée au projet. D’ailleurs, ce dernier ferait aussi concurrence à Sodexo, qui exploite un comptoir alimentaire au De Sève. Qui devra trancher? Comme dans le château de Kafka, tout le monde se renvoie la balle et dans l’imbroglio qui s’en suit, le rectorat tente de faire oublier qui dirige à l’Université Laval. Expliquer une éventuelle déroute du projet par l’échec des négociations entre les deux parties serait, de la part de l’Université, une simple façon de ne pas s’engager en faveur des étudiants. Ce serait accorder une exclusivité officieuse à l’entreprise.

Or, les contrats entre l’Université et les détenteurs des concessions alimentaires étant placés sous le sceau de la confidentialité, impossible de savoir jusqu’à quel point l’administration a les mains liées. On se rappellera que cet été, la Commission d’accès à l’information a refusé à l’AÉLIÉS l’accès à certains éléments importants (dont les données financières, loyer et investissement) du contrat de Sodexo. L’association étudiante est d’ailleurs en appel sur cette décision. Il faut dire que l’administration Brière doit composer avec les contrats signés en 2005 par les précédents dirigeants lavallois, qui définissent une exclusivité pour l’instant plutôt floue.

Le plus troublant dans cette affaire, c’est que la demande de l’association des étudiants aux cycles supérieurs se bute non seulement à Sodexo, mais aussi à l’Université Laval, qui refuse également de rendre le contrat accessible. Pourquoi ne pas laisser l’entreprise se battre contre les étudiants? Pourquoi, à défaut d’être aux côtés de l’AÉLIÉS, ne pas rester neutre?

Actuellement, on s’en remet aux lois, aux usages, sans jamais penser ou agir différemment, évitant ainsi de se mouiller. Il est à craindre que cette attitude se perpétue, car si l’Université ne prend pas position en faveur des projets étudiants lorsqu’ils sont cohérents et bien bâtis, c’est très certainement en raison d’une question financière dont les tenants et aboutissants n’ont pas changé avec l’arrivée d’une nouvelle administration en 2007. Quel intérêt pourrait avoir l’Université à favoriser des entreprises au détriment des projets étudiants, sinon qu’elles rapportent davantage de redevances et investissent dans les infrastructures? Le sempiternel sous-financement des universités n’excuse pourtant pas tout.

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