Pop université

Si vous songez à fonder un groupe de rock au nord de Détroit, veuillez désormais penser à un nom chouette, sans gueule ni dissidence. «Les lapins sautillants» ou «Les petits soleils» feront l’affaire pour songer à obtenir une subvention de Patrimoine Canada vous permettant de développer votre musique géniale, mais pas trop subversive.

Holy Fuck n’a plus droit à ce financement. Le groupe torontois de musique électronique s’est récemment vu couper une subvention de 3 000 $, en se faisant expliquer que son nom était jugé offensant.

Mais attention! Les programmes de subventions culturelles canadiens enterrés sans crier gare depuis le début du mois d’août étaient «inefficaces». Du moins, c’est tout ce qu’on a pu tirer du gouvernement conservateur, qui poursuit sa croisade contre l’art dans un magistral silence radio. Impossible de mettre la main sur les rapports d’évaluation qui doivent officiellement démontrer la non pertinence des programmes abolis. Le manque de transparence de ce gouvernement, maintes fois réitéré dans différents dossiers, est ici d’autant plus scandaleux qu’il participe à une politique de censure.

Ce n’est même pas contre la gauche que Stephen Harper part en croisade, mais contre l’idée fondatrice même de l’art – la subversion d’une vision figée du monde. Directement issue d’un courant religieux et conservateur en provenance de l’Ouest, son action brute et primaire contre la créativité, la liberté et l’irrévérencieux est tout simplement choquante. Et non assumée. Enfouie sous de vagues prétextes d’efficacité. Parce qu’on sait bien qu’une moralité d’évangéliste américain ne correspond pas aux «valeurs canadiennes» d’un océan à l’autre.

Holy Fuck sera sur le campus pour le Show de la rentrée le 10 septembre. Soyons plus immoraux que jamais.

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S’il en est une, pour une fois, qui ne se cache pas pour exécuter ses actions douteuses, c’est l’Université Laval, qui compte désormais parmi ses diplômés l’illustre Céline Dion. La diva américaine d’origine québécoise (quand s’avouera-t-on qu’elle vit à Las Vegas depuis plusieurs années?) a reçu un doctorat honorifique jeudi, dans une cérémonie bien arrosée des flashes des journalistes. Et malgré l’approbation générale, publique et médiatique qui a entouré cet événement, le milieu universitaire doit se poser la question: ce doctorat honoris causa était-il justifié? Le Conseil universitaire a été partagé à ce sujet, alors que près de la moitié des votants ont cru qu’il n’était pas nécessaire d’offrir cette distinction à la chanteuse. Ils ont dit non à la «pop université», facile mais vendeuse.

Récompensée pour sa «détermination» et son «humanité», sa
philanthropie et ses «valeurs» aux dires du recteur Denis Brière, Céline Dion représenterait un «modèle» pour les étudiants présents et futurs de l’Université Laval. Dans ce cas, il importe de savoir quelles sortes de réalisations et de valeurs sont privilégiées par le recteur pour ses pupilles… À bien comprendre, des réalisations économiques et des valeurs traditionnelles.

En effet, Céline Dion est en premier lieu un produit du show-business. Ce n’est pas son audace artistique ou sa créativité qui ont été récompensées par l’Université Laval, mais son plan de carrière sans faille et sa réussite économique. Ambassadrice du Québec à l’étranger, certes elle l’est ; d’autres le sont tout autant. Mais Céline Dion est une éminente philanthrope, de nous dire M. Brière.

Comme Brad Pitt et Angelina Jolie.

D’autre part, les valeurs portées par Céline Dion sont-elles celles de l’Université Laval ? Que la famille ou la sincérité, mises de l’avant dans son discours, fassent partie des principes fondamentaux qui devraient guider les jeunes âmes formées ici, personne n’en est certain. Le «savoir-être» qui a été récompensé semble avoir été choisi de façon aléatoire. En cherchant un prétexte pour donner un doctorat à Céline Dion, l’Université a fait prioritaire ses valeurs, peu importe leur pertinence pour un établissement scolaire…

Céline Dion est allée à «l’école de la vie», de ses propres mots qui ont été repris par tous les journalistes complaisants qui se sont refusés à voir dans ce doctorat un opportunisme dérangeant de la part d’une institution d’enseignement prête à tout pour être vue et entendue. L’école de la vie, heureusement, on y va tous du moment qu’on met le bout du nez hors du ventre de sa mère. C’est un concept vide.

Voilà qui démontre que l’Université Laval a choisi d’honorer Céline Dion plus qu’un ou une autre parce que le geste s’est valu une cérémonie télévisée et une conférence de presse en direct.

Si seulement Oprah pouvait prononcer les mots «Université Laval» lors de son émission… Ah tiens, on veut aussi la faire docteure.

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