Quand le chat sort du sac, le lapin rentre dans le chapeau

Convainquez le maire Labeaume que vous faites de l’argent et il vous trouvera du financement. Il suffit d’un petit bidouillage de chiffres. C’est la leçon qu’on peut tirer à l’issue de la rencontre «Québec horizon industrie culturelle», qui a réuni artistes, subventionnaires et entrepreneurs dans l’objectif de faire de la culture l’un des moteurs de développement économique de la Capitale-Nationale.

Cette cynique entrée en matière ne doit pas être interprétée comme une déception devant les annonces totalisant 53,2 M $ qui ont été faites le 16 février. Le tout Québec artistique est satisfait de l’événement. La création d’un festival littéraire dans la capitale, entre autres, est une nouvelle inespérée qui donne franchement de l’espoir en nos pouvoirs publics. Mais qu’arrivera-t-il lorsqu’on se rendra compte que c’est l’industrie culturelle, et non la culture, qui fait rouler l’économie?

La contestation contre les coupes du gouvernement fédéral en culture, à l’automne, a moussé l’argument de la rentabilité des arts. Mais de quelle culture parle-t-on lorsqu’on glorifie ses retombées économique? Une étude de l’Institut de la statistique du Québec montre qu’un dollar dépensé pour la culture dans la région Québec-Chaudières-Appalaches «entraîne une contribution de 1,48 $ dans l’économie québécoise». En mettant sur un pied d’égalité la télé, de gigantesques festivals, des clubs vidéos et… des diffuseurs de danse contemporaine, il y a de quoi tirer de telles conclusions. Mais on nage dans la confusion.

Il y a de grandes disparités entre les revenus que génèrent les différents organismes et événements culturels. Permettez de douter que des théâtres émergents ou des livres de poésie, dont les best-
sellers sont vendus à 500 exemplaires, feront pleuvoir des millions sur les berges du St-Laurent. Nombre d’organismes culturels vivent grâce à des subventions et attirent un public local. Leur contribution à l’économie se mesure presque uniquement en termes d’emplois – qui ne sont pas souvent rémunérés à leur juste valeur. Ils sont l’âme d’une ville, mais une âme doit-elle viser le profit?

Financer la culture en poursuivant des objectifs mercantiles est une erreur. Le danger, c’est d’en venir à définir des critères de subventions en fonction de retombés économiques. Il est impérieux et génial que Québec investisse dans la culture et qu’il incite les entreprises à le faire. Mais il ne doit pas en attendre une manne! Pour faire de Québec une capitale culturelle, il faudra investir durablement, non seulement par coups d’éclat, et croire en la culture plutôt qu’en l’économie.

Même chose pour la recherche universitaire. Ces jours-ci, à l’occasion de la parution du livre Vive la recherche libre! d’Andrée Lajoie, on ressort une phrase fameuse de Régis Labeaume, prononcée devant la Chambre de commerce en mai dernier : «[Ça] cherche, ça trouve, ça fait des conférences. Ça cherche, ça fait des conférences, mais on fait pas une cenne avec ça. On fait juste dépenser de l’argent. À un moment donné, y a-t-il un moyen d’aligner les chercheurs pour créer des produits commercialisables qui rapportent des chèques?» Si on réussit à triturer les chiffres pour faire croire à M. Labeaume que des travaux sur la littérature québécoise du 19e siècle peuvent être rentables pour la ville, organisera-t-il une soirée de financement? Bonne chance.

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