Un autre féminisme est possible

Ciudad Juarez, une ville industrielle du Mexique, est tristement connue pour les centaines de femmes qui y ont été assassinées et les mille autres portées disparues depuis 1993. Un ancien gouverneur de l’État où elle se situe, aujourd’hui ambassadeur du Mexique au Canada, croit que ces femmes, travailleuses dans les ateliers de misère, ont «couru après leur propre malheur». Vous êtes révolté, mais pas féministe.

Dans un article publié à l’approche du 8 mars, une journaliste paraguayenne appelle ses pairs à se dresser contre la violence qui leur est faite par des maris encore trop machos, arguant que les blessures physiques et psychologiques dont souffrent les femmes les empêchent d’être créatives et de… contribuer à l’économie. Vous êtes sceptique, mais pas féministe.

Les femmes autochtones ont cinq fois plus de chances que les autres Canadiennes de mourir par la violence. Vous êtes scandalisé, mais pas féministe. Parce qu’être féministe est bien sûr un acte qui se vit exclusivement entre lesbiennes de principe, trancheuses de phallus dans leurs temps libres.

On se dit plus facilement défenseur des droits humains que «féministe». Pourtant, le féminisme peut constituer l’une des formes de cette défense, en luttant contre les discriminations basées sur le sexe. Il s’attarde aux difficultés particulières vécues par les femmes et potentiellement – nous l’espérons, par les hommes.

On voit facilement la paille dans l’œil du voisin. Il est facile de larmoyer sur le sort des petites filles qui ne peuvent plus aller à l’école parce que les «barbares» talibans les en empêchent. Il n’y a pas seulement Régis Labeaume qui se conforte dans le contexte québécois de cette façon. On le voit par le discours social sur les Musulmanes qui portent le voile, souvent construit dans une parfaite méconnaissance des désirs des non-Occidentales… qui diffèrent des nôtres! La femme en burqa est plus éclatante, dans les rues de Montréal, que l’itinérante. Que le string de la fillette devant vous, tellement cute selon sa mère. Pourtant, pour laquelle avons-nous le plus de chance de faire une différence?

Malgré les inégalités économiques entre les hommes et les femmes, l’hypersexualisation des adolescentes et la violence perpétrée contre les femmes autochtones au Canada, malgré bien d’autres discriminations encore, seulement 40% des Québécoises de 18 à 34 ans se disent féministes, selon un sondage Segma-La Presse dévoilé à l’occasion de la Journée de la femme, dimanche. Ce chiffre est désolant et résulte sans contredit de l’étiquette étroite à laquelle le mouvement a été associé, et dans laquelle notre génération ne se reconnaît pas.

Il existe pourtant un féminisme qui ne s’érige pas contre l’homme mais avec l’humain, dans l’abolition des inégalités basées sur le sexe, quelles qu’elles soient. Il existe des féminismes. Arrêtons d’avoir peur du mot! C’est justement parce qu’il existe des situations ici et ailleurs, aujourd’hui, qui briment toujours les droits et la dignité des femmes, que l’importance de s’en réclamer compte toujours, pour les hommes autant que pour les femmes. Se dire féministe, c’est reconnaître les luttes faites par nos prédécesseur(e)s
– bien qu’elles aient été faites sur des modes qui paraissent éloignés de notre réalité. C’est un premier pas vers la solidarité.

Nier les apports et la pertinence du féminisme dans le contexte actuel laisse le champ libre à un masculinisme qui s’érige trop souvent contre la femme et dans la nostalgie d’un ancien ordre des sexes. Notre négligence facilite l’infiltration des intégrismes religieux de tous les horizons dans le système judiciaire canadien, comme l’a montré le projet de loi C-484, remettant sournoisement en question le droit à l’avortement. Laisserons-nous Anne-Marie Losique déterminer le sens de la féminité par un girl power factice, qui glorifie le corps de la femme comme un objet, dans une téléréalité sur le meilleur bar de danseuses au Québec?

Disons-nous «métaféministe», si le terme – il désigne un féminisme constructiviste, de la deuxième vague – est plus juste, plus englobant, plus ouvert. Et soyons-le. Le port de la brassière n’en sera pas moins populaire.

Consulter le magazine