Y a-t-il un intellectuel sur le campus?

Le désengagement des étudiants a fait déchirer plus d’une chemise au Québec. Mais, étrangement, personne ne joue à la veuve italienne éplorée sur le cadavre de l’engagement des professeurs, qui ne sont pas beaucoup plus offensifs.

Loin de prendre position dans les débats sociaux par le biais de sorties médiatiques ou de simples courriers du lecteur dans les journaux, la plupart des professeurs (il y a d’heureuses exceptions) s’enferment à double tour dans leur bureau et se cachent derrière la scientificité de leurs recherches. Les journalistes d’Impact Campus se font régulièrement refuser des entrevues par des professeurs sous prétexte qu’ils ne connaissent pas assez bien telle ou telle question, qui gravite pourtant autour de leurs intérêts de recherche. À croire que s’ils n’ont pas fait de postdoc sur un sujet, ils n’en connaissent pas assez pour informer le public! Ou pour défendre un point de vue… quel risque!

Le savoir n’est pourtant pas sans responsabilités. La peur de se faire reprocher une tournure de phrase par un collègue ou la peur de se compromettre ne devraient pas empêcher les professeurs d’université de mettre leurs connaissances au profit de la société autrement que par des cours magistraux et des articles de revues spécialisées. D’ailleurs, si les professeurs avaient une audace à la hauteur de leur pile de diplômes, le Conseil universitaire ne serait pas cette instance d’approbation inconditionnelle que l’on connaît aujourd’hui. Mais l’université est un système auquel la pensée critique se soumet assez facilement… Et l’attitude des professeurs devant l’institution qui les engage n’est pas différente de leur mutisme quant aux idéologies dominantes, dont l’anti-intellectualisme devant lequel ils ont baissé les bras.

Peut-on donc qualifier nos professeurs d’«intellectuels»? Le terme est galvaudé jusqu’à signifier un individu à lunettes, mais bien peu de véritables héritiers de la tradition initiée par Émile Zola enseignent dans les universités québécoises. À la source, l’intellectuel est celui qui prend position dans l’espace sociopolitique à partir d’une position d’autorité qu’il tire de son savoir. Au Québec, les plus retentissants représentants de cette figure sont plutôt des artistes, ce qui n’est pas mal du tout, mais ne diversifie pas notre paysage intellectuel. Or, les professeurs prennent des positions à partir d’un savoir particulier qui peut apporter de l’eau au moulin de la réflexion collective.

Où sont les historiens alors qu’on se trucide à propos de la reconstitution de la bataille des plaines? Retranchés dans leurs quartiers, à attendre l’appel de la Commission des champs de batailles nationaux, qui tente d’éclairer sa lanterne. Pendant ce temps, Falardeau occupe tout l’espace médiatique de ses menaces d’entartage.

«Y a-t-il un intellectuel dans la salle?», demandait avec ironie Pierre Elliot Trudeau avant un discours. Il semble bien que non. Le champ est libre pour tous les spasmes de la connerie du monde, sans que l’on ne s’excite un brin dans les plus hauts lieux de la production du savoir moderne.

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