Ma nuit grisée de poésie

Il me serait impossible de décrire objectivement ce qui s’est passé hier (vendredi) soir sur la page Facebook de Québec en toutes lettres. D’abord parce que la poésie est à des années lumières de l’objectivité, mais surtout parce qu’elle me passionne, qu’elle m’émerveille. Je vous propose donc de m’accompagner dans ma Grande traversée poétique. Je vous dirai ce qu’elle a provoqué en moi.

J’étais loin d’imaginer à quel point ce serait grandiose. Les descriptions officielles, aussi détaillées soient-elles, ne font souvent qu’évoquer ce que ce sera réellement. La participation du public est aussi difficile à prévoir et elle influence grandement l’ambiance d’un évènement, même en ligne.

Ça me rappelait vaguement Hygiène, donné par le Bureau des affaires poétique en mars dernier. Et mon parallèle était bon jusqu’à un certain point : c’était comme Hygiène, mais puissance dix, avec une participation et un rayonnement international.

Chaque organisme participant bénéficiait plus ou moins d’une vingtaine de minutes de tribune, nous faisant découvrir une multitude de voix, d’univers, de lieux différents. Certains vidéos mettaient en valeur le paysage, nous donnant l’illusion d’un voyage, d’autres la performance. Et la qualité de ces performances! Il suffit de voir ce que proposait la Factorie (Normandie) pour s’en convaincre.

« Il faudrait un piano pour interpréter cette neige » – Vincent Lambert

À peine quinze minutes après le début de l’évènement, je me suis surprise à sentir de petites larmes discrètes au coin des yeux, un fourmillement dans le thorax. Ma première réaction a été de m’en inquiéter. J’ai cherché à comprendre pourquoi. Puis, j’ai lâché prise. C’est l’erreur la plus fréquente en poésie : vouloir tout comprendre.

Ce n’étaient pas les mots qui me faisaient pleurer, rien de spécifique. Seulement le fait d’être là, de sentir que j’appartenais à ce groupe formé de connaissances et d’inconnus, que je partageais avec eux ce moment.

J’ai pleuré parce que c’était beau, tout simplement.

C’était beau, ce sentiment d’être à ma place, auprès de gens qui me ressemblent, qui ont une vision de la vie et un rapport au monde semblables aux miens. La poésie, c’est une façon d’être. Je crois que nous sommes nombreux à nous entendre là-dessus.

« Emprunter à ta voix l’accalmie des averses » – Esther Doko (Bénin, Afrique)

La poésie contemporaine étant plus libre qu’elle ne l’a jamais été dans l’histoire, parler de sa diversité est presque un pléonasme. Et c’est ça précisément qui faisait la beauté de l’évènement : la pluralité des voix, des tons et des origines. Du Canada au Bénin, de la France à la Colombie, de l’Angleterre à la Nouvelle-Zélande, les accents et les styles tous uniques se sont fait tantôt écho, tantôt contraste. Les Premières nations étaient elles aussi représentées, notamment par Joséphine Bacon, Marie-Andrée Gill et Louis-Karl Picard-Sioui.

Peu m’importait si le texte était traduit ou non dans les sous-titres et s’il y en avait tout court. La moitié du temps, je ne les lisais pas, préférant me concentrer sur les sonorités de ces langues que je ne comprenais pas toujours. Je partais bien sûr avec une longueur d’avance en connaissant l’anglais et l’espagnol, mais même dans ces cas, il m’était impossible de tout saisir. Déjà que dans les poèmes en français, le sens nous échappe souvent. Aux textes en ukrainien, j’ai décidé de faire fi de l’approximative traduction qui m’était offerte pour me laisser porter par les sonorités de cette langue roucoulante et chuchotante.

« On s’habitue à s’étouffer avec nos fantômes » – Marie-Andrée Gill

Dans le chat, on a partagé nos impressions, nos vers préférés. On a jasé du style vestimentaire des poètes, de l’esthétique des images, de l’ambiance musicale. On s’est même fait envahir par des robots scammeurs aux propositions ésotériques – presque poétiques – de rituels en tous genres.

Des 200 spectateurs de départ, 174 sont restés un bon moment, le chiffre s’effritant graduellement à partir de 11h.

« La nuit tombante me libère du besoin d’être productive et de la culpabilité de ne pas réussir à l’être » – Mécistée Rhéa (Strasbourg, France)

J’ai hésité entre aller me chercher des chips et de la bière avant que ce ne soit plus possible et laisser le festival se dérouler dans mon sommeil, bercée par l’enchaînement des mots. J’étais tentée de continuer mon périple, de veiller avec les poètes de quelque manière que ce soit. À ce stade, il ne restait que la moitié des spectateurs. J’ai poussé jusqu’à 1h45.

Je n’étais pas saturée, j’aurais pu en prendre encore un peu. Mais sachant que je voulais être productive le lendemain et que l’évènement allait être rediffusé, j’ai cédé à la fatigue. La poésie ne m’a pas quittée pour autant. Elle est restée dans le creux de mon oreille. Toute la nuit, mon cerveau m’a fabriqué des vidéo-poèmes. Échos de ce qu’il avait capté pendant des heures. Des rêves bercés par un charabia poétique dont je n’ai su garder aucune trace à mon réveil, sauf l’impression qu’ils m’avaient laissée.

Que vous soyez amateur de poésie ou pas, je vous invite à prêter oreille à La grande traversée poétique, même si c’est distraitement en faisant la vaisselle. En cette période d’isolement et de diminution des heures de lumière, offrez-vous un petit baume, une rencontre avec l’autre. L’intégralité de l’évènement est rediffusée à même la page Facebook de Québec en toutes lettres jusqu’à demain (dimanche) soir.

 

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