#agressionnondenoncee

On me parle très souvent en ce moment du mouvement de dénonciation sous le hastag #AgressionNonDenoncee. Face à cela, je ne sais pas comment me positionner. Dénoncer auprès de qui ? La police ? La société ? Les proches ? J’ai parlé, moi. Mais voilà. J’ai un procès qui va avoir lieu dans les 60 à 100 prochains jours qui viennent, et j’éprouve une putain de peur.

Oui, j’ai dénoncé ce qui m’est arrivé. Mais quel impact social cela peut-il bien avoir, si cela reste uniquement entre moi, lui et la justice ? Le sujet reste tabou. Ce n’est pas quelque chose dont tu parles volontiers. Au contraire, tu le caches bien au fond de toi, et ton procès, tu l’évoques parfois, quand les circonstances l’exigent, comme si c’était toi qui avais fait quelque chose de mal. Car après tout, si tu t’es retrouvée dans cette situation, c’est bien quelque part que tu l’as provoquée… non ?

Ces pensées, pas besoin de les entendre de la bouche de certaines personnes. Elles t’assaillent. T’empêchent de dormir. Te font même jusqu’à regretter d’avoir porté plainte, avant de se reprendre, et de repartir à l’attaque dans ta quête de légitimité. Alors, avec ce mouvement qui survient pile en ce moment, je m’interroge beaucoup. J’ai peur de ce qui va arriver. De revivre ce qu’il s’est passé. Mais c’est mon choix d’avoir porté plainte, il n’en tient qu’à moi d’aller jusqu’au bout.

La question qui me taraude, et qui me rend particulièrement vulnérable, est : qu’est-ce que je vais faire de cette expérience ?  Vais-je la garder uniquement comme une cicatrice personnelle ? Ce mouvement me rappelle autre chose. Il me questionne, car il me fait prendre conscience que ce qui m’est arrivé, ce n’est pas une malchance dans ma petite vie, c’est un véritable fléau social, une dérégulation qui est silencieusement admise et intégrée dans notre société.

Est-ce normal que cela arrive à nos mères, nos sœurs, nos amies ? Est-ce normal que mon histoire ressemble à celle de tant d’autres ? Non, non et encore non. Mais quand tu es assommée par ce qui t’es arrivé, cela prend énormément de temps pour le réaliser. Tu veux toujours te singulariser. Oui, mais moi ce n’est pas pareil… Moi, ce n’était pas si grave… et je me sens vraiment nulle de ne pas avoir réagi.

J’ai eu honte de mon corps de femme. Honte d’avoir 21 ans et d’avoir laissé faire quelqu’un qui avait dépassé la soixantaine. Parce que si je n’ai rien fait, encore une fois, et cette dernière fois-là encore, alors que tu savais à quoi t’attendre, c’est bien que quelque part… je m’arrête là. Ces idées n’ont pas de fin. Elles tournent et retournent sans cesse.

Après avoir analysé ton comportement sous les moindres détails, c’est à son tour de le singulariser, lui. Oui, mais lui, il est différent… Lui, c’est quelqu’un de bien. C’est un bon gars. Tout le monde l’aime, et il est super gentil. Ce n’est pas de sa faute s’il a mal compris mes intentions. Il n’a pas voulu me faire de mal.

Effectivement, celui que j’ai dénoncé ne se promène pas avec les cornes du diable vissées sur le crâne. Il n’est pas foncièrement mauvais. Il ne s’est pas dit un beau jour, « tiens aujourd’hui, je vais délibérément agresser Juliette ».

C’est beaucoup plus complexe et insidieux que ça. C’est précisément pour cette raison que c’est un problème social. Comment lui n’a-t-il pas pensé à mettre de limites ?  Pourquoi était-ce à moi de dire non ? Pourquoi, même lorsque je me suis mise à trembler, totalement apathique, une alarme ne s’est-elle pas déclenchée dans son cerveau ? Et pourquoi ce manque de présence d’esprit n’arrive-t-il pas seulement à lui, mais à pleins d’autres ?  Est-ce dû à notre période ? À un manque d’éducation sexuelle chez les jeunes filles et les jeunes garçons ? À un besoin primaire qui ne s’est toujours pas soumis aux mœurs de la civilisation ? Mais bordel, que faut-il faire pour que cela cesse !? En parler ?

Je retourne à ma première question : en parler, oui, mais à quelle échelle ? Je vous adresse ces questions. Puisse ce hashtag n’être que le début d’une série de longs débats publics. Puisse-t-il être libérateur pour toutes ces femmes qui n’ont jamais pu regarder leur honte en face et lui foutre un bon coup de poing dessus.

Parce qu’il n’y a pas à avoir honte. Le problème est loin d’être personnel. Je vous laisse y réfléchir. En attendant, je vais m’efforcer de rendre l’attente du procès supportable… ben tiens, en faisant un peu de sociologie.

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