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Chronique d’un terrain de mémoire [Partie 2] : l’été

L’adage dit que l’été, c’est fait pour jouer… en recherche, l’été, c’est fait pour écrire. Ou planifier d’écrire. Ou faire des plans de rédaction, ne pas les respecter et angoisser de ne pas avoir écrit.

Boursé ou non, le rythme aux cycles supérieurs est particulier. Dans un premier cas de figure, tu obtiens du financement en échange du respect d’un certain échéancier, qui force en quelque sorte la productivité. La première année sert à compléter sa scolarité, et la deuxième, à produire son mémoire. L’été devient ici un concept abstrait, la période où le campus est vide, ou plutôt, remplis seulement de professeur(e)s et de collègues dans la même situation que toi.

Dans le second cas, tu te débrouilles avec les prêts et bourses et en accumulant les emplois étudiants à contrats. L’expérience d’auxiliaire d’enseignement et de recherche est, par ailleurs, des plus intéressantes. Toutefois, la ligne entre vie privée et vie professionnelle devient rapidement brouillée : ton mémoire, tes contrats … tout se mélange et tu deviens toujours potentiellement en train de travailler, dans un univers où les charges de travail sont relatives et négociables, et où le téléphone n’est jamais bien loin.

L’été n’est ainsi plus une coupure, si bien qu’une fois la session reprise, les batteries sont encore à plat. Cette forme d’exigence de productivité d’un côté, et de relative précarité, de l’autre, a des effets néfastes sur plusieurs (abandon d’études, dépression), et par extension, sur la qualité de la recherche qui se fait dans nos universités.

Sans parler des attentes. De la confession de collègues français, les québécois(e)s ont tendance à faire des « petits doctorats » à la maitrise, nourrissant de grandes ambitions. Cela augmente la charge de travail et ainsi la pression de performance que l’on s’impose soi-même. Du coup, la montagne nous paraît insurmontable, et l’inaction la seule voie de salut.

Accepter l’imparfait : pour en finir avec l’angoisse

Une professeure nous disait toujours que du moment que tu arrêtes de lire et que tu commences à écrire, tu en as pour plus d’un an avant d’avoir complété ton mémoire, alors qu’une autre nous rappelait qu’un bon mémoire est un mémoire fini. À ce point dans mon parcours, rien ne me paraît plus vrai.

Il faut ajuster nos attentes à notre réalité. Est-il réaliste de penser arriver à produire des connaissances scientifiques solides en s’y adonnant, ou bien comme une machine, ou bien enseveli sous une pile « d’autres tâches connexes » ? Elle est là, la réalité du modèle universitaire dans ses paramètres actuels.

Pensons seulement à un athlète, aux heures d’entrainement, aux échecs et à la discipline nécessaire pour, le temps de la performance d’une vie, supplanter d’autres athlètes s’étant imposé la même rigueur. Il est primordial d’entretenir des aspirations ajustées à nos possibilités, de manière à garder le moral pour tirer le maximum de soi.

À la différence d’une compétition sportive toutefois, il n’y aura pas foule au moment de la consécration. La vie reprendra le lendemain avec les mêmes contradictions. Si seulement ces quelques lettres après notre nom nous assuraient quoi que ce soit ensuite.

La critique d’un travail imparfait et perfectible est au cœur même du processus scientifique. On doit l’embrasser pour être capable d’enfin vaincre la page blanche. Toutefois, il sera primordial d’offrir aux étudiant(e)s inscrits aux études supérieures un environnement de travail permettant de pouvoir avancer dans cette réalité sans se sentir sur un siège éjectable.

Un financement de la recherche relativement indépendant de ses finalités et des possibilités réelles d’emplois me semblent les deux chevaux de batailles.

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