La Camaro de Justin

Cette semaine, la nation se sera fascinée pour le dévoilement du cabinet ministériel du très honorable Justin Trudeau, paritaire tel que promis en campagne électorale. Toutefois, c’est vraiment l’ultime voyage de Steve Fiset, chanteur à succès des années 1970, qui a réussi à émouvoir le Québec tout entier, alors qu’il prenait une dernière fois le volant de sa belle Camaro bleue sur les chemins du Paradis.

Les femmes commencent à avoir la place politique qui leur revient, les one hit wonder décèdent… bref, « nous sommes en 2015 ».

Cette réponse, envoyée avec aplomb par notre Premier ministre à une journaliste qui le questionnait sur l’aspect égalitaire de son cabinet, illustre bien toute l’urgence qu’il y avait à mieux représenter 50 % de la population. On entendra bien sûr de nombreuses voix s’élever, non sans une part de raison, pour dénoncer ce quota et en appeler à des nominations basées sur la seule compétence. Si l’argument est apparemment imparable (« Ouin, tsé, moi je préfère mes ministres incompétents ! »), il fait pourtant la belle part à une vision étriquée de la compétence.

C’est que la compétence au sein d’une organisation ne doit pas être vue comme une « Compétence » imaginée dans l’absolu, mais bien dans le cadre d’un échange entre points de vue, connaissances et sensibilités. On s’attend donc de nos ministres qu’ils soient simultanément calés dans leur domaine et capables par leur collaboration de réaliser les enjeux auxquels sont confrontés les Canadiens.

La représentation ne doit pas être mise en opposition avec la qualification : ça fait partie de la qualification. C’est bien triste, mais tout porte à croire que personne n’est aussi habile que soi-même pour parler de ses propres problèmes — et de ceux de ses semblables. On aimerait s’imaginer qu’une trentaine de Philosophes-Rois assis autour d’une table formeraient le gouvernement idéal ; pourtant, si c’était le cas, ça ne ferait pas juste trois mois que les produits d’hygiène féminine seraient classés comme des biens essentiels.

Heureusement, comme le dit le PM, nous sommes en 2015 et les choses changent – peu, mais elles changent. Néanmoins, alors que roule inlassablement la Camaro des années 70, quelque chose demeure : notre confiance d’être enfin arrivés à une grande époque de progrès. En 1970, Steve Fiset représentait ce qui se faisait de mieux en musique ; en 2015, Justin Trudeau réinvente la politique. Ne laissons pas le Soleil de plomb du présent taper trop fort sur le front brûlant de notre enthousiasme ; ne laissons pas le lyrisme de Steve Fiset contaminer nos chroniques et nos esprits ; reconnaissons simplement que Les chemins d’été est une aussi bonne chanson qu’un cabinet ministériel paritaire représente un bon pas, sans que cela nous fasse oublier tous les succès qui ont précédé ou tous les progrès qui restent encore à faire.

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