Photo : Barbotin Elia

Le Canada au service de Netflix, vraiment ?

On le sait, le débat concernant l’imposition ou non des multinationales fait rage depuis un bon moment déjà. Dans notre économie globalisée, la sempiternelle question de la juste part que ces entreprises jouissant de baisses constantes de taxes doivent payer accapare et divise l’opinion publique plus que jamais.

Au courant des dernières semaines, c’est le dossier Netflix, chapeauté par la ministre du Patrimoine canadien Mélanie Joly, qui a été porté sur la place publique et qui a fait couler beaucoup d’encre. Dimanche, la politicienne était d’ailleurs sur les ondes de Tout le monde en parle pour en discuter. Les Gérard Fillion et Pierre-Yves McSween sur place n’ont pas manqué de l’écorcher au passage.

On en entend d’ailleurs toujours les échos et on peut légitimement encore se questionner. Faut-il se réjouir de la décision du géant de la télévision numérique d’investir 500 millions dans des productions télévisuelles canadiennes au courant des cinq prochaines années? Ou, au contraire, doit-on déplorer le fait qu’en fin de compte, aucune taxe Netflix ne sera imposée afin de ne pas, pour reprendre la rhétorique de la ministre, «  alourdir le fardeau fiscal » des contribuables?

Bien entendu, personne ne déplorera que Netflix s’engage à assurer une présence au Canada et à produire des productions en anglais et en français. Or, le diffuseur de contenu télévisuel et cinématographique en continu sera le premier à s’enrichir et à sans doute voir un retour considérable sur son investissement.

De fait, ce dernier devrait vraisemblablement surfer sur la vague d’un pays présenté comme plus « cool » que jamais à l’extérieur de ses frontières. Une image dopée par les innombrables opérations de relations publiques de Justin Trudeau partout sur la planète et par le succès de certains réalisateurs comme Denis Villeneuve, Xavier Dolan et Jean-Marc Vallée, lesquels sont désormais des superstars aux États-Unis que les maisons de production s’arrachent.

Pour la culture d’ici

La grande popularité des séries comme Anne, la maison aux pignons verts et The Haidmaid’s Tale (basée sur le roman éponyme de l’écrivaine canadienne consacrée Margaret Atwood) contribuent par ailleurs à faire connaître de plus en plus la télévision canadienne hors de la nation.

Toute chose considérée, la décision qu’a prise le gouvernement concernant le sort de Netflix m’apparaît majoritairement déplorable. Une manière de véritablement stimuler davantage la production de contenu cinématographique et télévisuel canadien de qualité aurait pu être liée à l’imposition d’une véritable taxe, comme le font d’ailleurs entre autres la Norvège, le Japon, la France et l’Australie.

Les montants perçus auraient alors pu être injectés directement dans les sociétés d’État se consacrant déjà à la production de contenu culturel. L’industrie du cinéma et de la télévision, comme l’a affirmé à Radio-Canada le réalisateur Roger Frappier, aurait dès lors un plus grand contrôle du contenu des productions financées. Force est de constater que ce sera plutôt Netflix qui aura le dernier mot et choisira ultimement ce qui sera financé et ce qui ne le sera pas.

D’ailleurs, il n’y a, à ce stade-ci, aucune garantie que les futures productions respecteront la diversité canadienne et feront une place importante et nécessaire aux séries tournées en français.

S’inspirer de la toute récente décision de la France, qu’est celle d’imposer une taxe de 2% sur le chiffre d’affaires aux plateformes de vidéos numériques pour accroître la production locale, aurait été une décision véritablement audacieuse.

Comme ce n’est malheureusement pas la voie choisie par le gouvernement actuel, qui préfère plutôt se distancier des positions claires et logiques de nombreux pays occidentaux, il faudra être attentif au tournant que prendra le dossier au cours des prochaines années. En attendant, on peut comprendre les inquiétudes évoquées de part et d’autre du pays.

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