Le pays de la honte

La première fois que je me suis battu ( la seule fois ), je devais avoir dix ans environ. Je suis d’ordinaire quelqu’un de très pacifique, mais cette fois-là, la paix avait cédé sa place à la rage. Je ne me rappelle plus trop pour quelle raison d’ailleurs, probablement une de ces chicanes d’enfant qu’on oublie rapidement. Non seulement je me battais pour la première fois, mais j’allais aussi, pour la première fois, faire face à l’humiliation de la défaite. À dix ans je rencontrais la haine dans sa plus intense forme.

Au fil des années, je l’ai revue à maintes reprises s’inscrire dans l’histoire. Jusqu’à mardi dernier, où c’était d’une balle en plein coeur de la démocratie qu’elle sut laisser sa marque.

En marge de tout ce qui se déroulait au Métropolis le soir des élections, des commentaires se rédigeaient. Du « Dommage qu’il l’ait ratée! » à « On aura bien une autre chance de lui en tirer une balle dans la tête », plusieurs trouvaient leur façon de faire honte à l’humanité tout entière.

Sommes-nous à ce point déconnectés de la réalité pour pouvoir, de notre clavier, lancer ce genre de missive que l’on croit sans répercussion ? Est-ce d’abrutissement dont font preuve tous ces gens ou est-ce plutôt d’ignorance ? Savent-ils seulement que le cyber-espace n’en est pas un très éloigné de la réalité ?

Un jour nous comprendrons peut-être que ces tentatives d’anéantissement de l’autre ne sont que des pas de plus vers l’auto-destruction commune. Étrangement, j’écris ces mots à contre-coeur, trop incertain de ce que j’avance et sachant plutôt que le Québec sombrera sûrement, tristement, dans l’humiliation et la défaite morale.

À dix ans, je me suis battu pour la première fois et j’ai compris que ça allait être la seule fois ; le Québec lui se battra toujours, sans jamais comprendre.

J’ai honte,

Hubert Gaudreau

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