Mes humbles bas bruns : un sociologue dans la fausse aux lions

C’était en avril 2017. Je venais tout juste de terminer ma scolarité de maitrise et je me retrouvais devant le néant. Beaucoup de questions et d’anxiété. Trop peu de réponses. Pourquoi ne pas revenir au journalisme, m’étais-je alors demandé, dans un dernier espoir d’accrocher un peu de sens autour de moi. Sortez les violons, pardonnez les clichés (ou brulez-moi au bucher), je ne pourrai jamais exprimer avec assez d’éloquence à quel point mes deux années au journal m’ont permis de reconstruire ma confiance, d’aiguiser mes forces, de bien cerner mes faiblesses et surtout, d’apprendre sur la réalité qui m’entoure, de m’ouvrir à ce qu’il y a dehors.

Rangez les violons ‒ mais n’éteignez surtout pas les feux ‒, je tenterai de redonner vie à une tradition éditoriale d’Impact Campus bien enterrée que Jean-Sébastien Doré et moi incantons depuis notre expédition dans les archives du bien-aimé journal hebdomadaire.

Bas brun : « gratification ultime accordée par la rédaction à tous les petits morveux de l’actualité qui n’ont pas été sages au cours de l’année. »

Est-ce possible, en 2019, à l’ère du politiquement correct ‒ j’aimerais que la tradition journalistique me permette d’insérer des émojis ici (lesquels ? je laisse votre imagination et votre interprétation faire le travail) ‒ de distribuer une volée de bois vert à des personnes ? Est-ce frileux de distribuer un prix citron symbolique à des phénomènes d’ordre culturel ? À des traditions ? Est-ce faussement posé de se situer quelque part entre les deux ? Six ans après mon entrée en sociologie et avec deux ans à Impact Campus dans mon baluchon, voici mes humbles bas bruns.

Bas brun du 3 décembre 1996

Au conseil d’administration de l’Université Laval : pour l’achat d’un logiciel de gestion au modique coût de 7,9 millions $. Ne sommes-nous pas en pleine période de compression budgétaire ?

Une Université verte comme un 20 $

À trop vouloir plaire, on finit par se déplaire. Après que les associations étudiantes du campus opérant des concessions alimentaires et que la multinationale-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-nom aient coup sur coup banni la vente d’eau en bouteille sur le campus, l’Université Laval a finalement décidé d’emboiter le pas après avoir longtemps défendu le choix libre et éclairé de ses étudiants conscientisés tout en craignant paradoxalement que ceux-ci se tournent vers les boissons sucrées, advenant qu’on restreigne la vente des bouteilles d’eau (non sans rappeler par ailleurs un certain débat entre Pepsi et Coke qui a déjà fait rage dans nos pages à une certaine époque).

Bas brun du 3 décembre 1996

Au conseil d’administration de l’Université Laval : pour l’achat d’un logiciel de gestion au modique coût de 7,9 millions $. Ne sommes-nous pas en pleine période de compression budgétaire ?

Qui ne risque rien n’a rien. C’est probablement pourquoi on attend toujours que l’UL désinvestisse dans le pétrole alors qu’elle en a fait l’annonce il y a maintenant deux ans. Rien de surprenant dans la facture du LPU, qu’on a aussi déléguée aux étudiants (après leur choix libre et éclairé). « Dire que quand on était jeunes, y’avait du monde qui essayaient de nous faire croire que c’était écologique d’acheter des voitures électriques ! », raconte une mamie de l’univers fictif de Saint-Jambe. Soyons la mamie.

Tant pis pour les prudents

À travers diverses implications, à différents paliers, dans quelques assos étudiantes, une chose m’a profondément marquée. Une difficulté de part et d’autre à prendre une certaine distance, à faire preuve d’empathie et d’écoute dans les discussions, autant académiques que celles qui parsèment la vie associative, notre petit microcosme politique. Il y a une certaine violence, bien qu’elle soit de degré très varié, dans les propos, dans les structures de pouvoir, dans l’instantané de la réaction. SPOTTED. J’aurais aimé donner un bas brun à plusieurs personnes pendant ces années (j’espère profondément que vous vous reconnaissez tous et toutes), mais aujourd’hui, je préfère plaider coupable. L’aride culture du débat qui règne nous concerne tous et toutes. Le projet de loi 21 en est un exemple éloquent à plus large échelle. « Je m’inquiète beaucoup plus, ces temps-ci, du spectacle dégradant d’adultes qui appellent à en haïr d’autres qui ne pensent pas comme eux. Ça c’est nocif pour les enfants, j’en suis certaine ! », écrivait Françoise David cette semaine sur sa page personnelle, en réaction à l’argument du « on le fait pour protéger nos enfants ».

Bas brun du 8 décembre 1992

Brian Mulroney : une chirurgie plastique mentonnière, afin que nul ne puisse prétendre que tout n’aura pas été tenté pour changer la face du Canada.

Le citron est trop pressé

Une dernière fois amer, j’aimerais régler mes comptes avec la culture de la performance et de la réussite qui règne dans les sociétés capitalistes et dans les murs rouges et or de notre université. Cette culture qui m’a poussé au bout du rouleau et que je constate chaque jour dans mon emploi d’auxiliaire d’enseignement, chez les étudiants qui commencent à peine leur baccalauréat. Cette culture qui, couplée à la précarité, aux emplois à temps partiel, aux excès divers, augmente notre sentiment de détresse. Déclarations au centre d’aide de l’Université. Burnouts. Dépressions. Abandon scolaire. Dépendance. Consommation de médication d’ordonnance pour améliorer la concentration. Tricherie. Un peu moins de yoga. Un réinvestissement. Du personnel de soutien. Des possibilités d’emploi pour tout le monde, indépendamment du genre, de l’appartenance sociale et ethnique ainsi que du domaine d’étude. Des exigences réalistes et adaptées. Bref, une (un peu plus) réelle égalité des chances. Une institution et une société qui, plutôt que de reproduire les inégalités sociales en triant ses étudiants sur la base de leur capacité à préserver leur santé psychologique pendant leurs études, offrent un environnement sain et propice à développer les différents talents, à s’épanouir et se découvrir comme personne, à former des citoyens allumés.

Bas brun du 8 décembre 1992

Au journal le Fil des Événements pour une rectitude à toute épreuve et une application zélée des principes d’intégrité journalistique (entre autres plagiat et joli petit sondage.)

Comme on dit par chez nous, si les bas bruns te font, au plaisir de te croiser en sandales !

Consulter le magazine