Lettre à Annie : mon étoile filante 

 

Il y a des étoiles filantes dans une vie. Elles passent, ont un impact considérable sur notre existence… puis elles partent, aussi vite qu’elles sont arrivées. Des personnalités incisives qu’on appelle. Sauf que les étoiles filantes, elles, ne restent pas. Elles filent !

Par Jimmy Lajoie-Boucher, journaliste collaborateur

 Le 9 février 2018, une nouvelle est venue changer ma vie. Je me présente à l’urgence pour une masse indolore… 2 heures plus tard, boom ! C’est du cancer Monsieur Lajoie-Boucher. La vie s’arrête, on n’entend plus rien. Je ne m’étendrai pas sur le sujet. Après l’opération, les résultats, des traitements de chimiothérapies s’imposent, mais la réponse est parfaite, donc un pronostic favorable est prononcé et aujourd’hui ça va bien, je suis guéri. Rien de plus à dire sur le sujet.

 Par une ironie du sort dont seule la vie est capable, 6 jours plus tard une jeune femme de 38 ans recevait elle aussi un diagnostique. Cancer du sein stade 4 avec métastases aux os, au foie et aux ganglions, bref, elle en avait partout. Pronostic sombre, entre 4 et 10 ans d’espérance de vie. À ce moment, elle et moi ne nous connaissions même pas. 

 À l’automne 2019, je travaillais dans une épicerie de quartier pendant mes études en journalisme. Petit commerce familial où les gens du quartier aiment se réunir pour prendre un café, échanger sur les rumeurs qui courent durant la semaine, etc. Moi, je cherchais toujours un sens à ma deuxième chance et essayais encore, tant bien que mal, de comprendre ce qui m’était arrivé environ 18 mois plus tôt. Un matin, j’ouvrais le commerce. Deux heures plus tard, un petit bout de femme d’environ 5 pieds et un pouce entre, se dirige vers le « backstore » et revient avec ses espadrilles, la serpillière, des torchons, et du liquide désinfectant. Devant mon regard dubitatif et sans hésitation, elle se dirige vers moi « salut ! Je m’appelle Annie, j’ai été engagée pour l’entretien ménager ». Je me présente, bien sûr, et continue mon travail. 

 Quand la journée fut terminée, je connaissais tout d’elle. Qu’elle était atteinte d’un cancer incurable, qu’elle avait deux enfants et le tout, avec des traits caractériels très atypiques. Une de ces personnalités qu’on remarque dans une foule, mais de façon positive en revanche. Sans même m’en apercevoir, nous étions au bord du fleuve, en voiture, dans les bois de Lotbinière, sur la grève à Beaumont. Elle arrivait chez moi le matin, j’allais chez elle et bref, avec le temps, deux autres personnes se sont greffées à notre groupe et nous étions maintenant un quatuor. 

 L’année 2020 s’entame. Les médecins avaient espoir de donner 4 à 10 ans de vie à Annie. Seulement, plus l’hiver avançait, plus des complications se manifestaient. Une fois par mois, elle appelait l’ambulance. Au début du printemps, la maladie s’est réveillée de son état latent, pour poursuivre sa progression dans les organes de mon amie. Maintenant, la solution résidait dans l’hormonothérapie. Elle avait trois chances.

 À l’été, les trois chances avaient toutes échouées. La seule autre option était une deuxième tentative de chimiothérapie à l’aide d’un autre protocole que celui subi en 2018. Si ce protocole fonctionnait, elle était repartie pour un temps indéfini sinon, on passait du 4 à 10 ans initial à 1 an maximum. Seulement, moi qui voyais la situation d’un œil près d’elle, et non d’un bureau une fois aux quelques semaines, je réalisais que mon amie entrait à l’hôpital tous les mois pour commencer, ensuite aux deux semaines, puis, chaque semaine.

 Deux séances de chimio sont passées. La masse au foie ne reculait pas, au contraire, d’autres foyers apparurent. Le traitement, à part la rendre malade, avait autant d’impact que de l’eau sur cette maladie. Finalement, un matin le téléphone sonne. C’était Annie… elle était aux urgences « il n’y a plus rien à faire, il me reste 2 mois ou moins ». Bien entendu elle pleurait, je pleurais « j’arrive! », je ferme le téléphone, saute dans la voiture, reprends sur moi, je vais la supporter je dois être fort. En arrivant, je lui tombe dans les bras et pleure comme un bébé. Une vraie honte. Je devais être le support et c’est elle qui me consolait. Misère ! 

 Lorsqu’elle est sortie de l’hôpital, les soins palliatifs se sont mis en branle. Elle a voulu que je l’accompagne dans ses derniers pas. Quand j’y pense, c’est toute une preuve de confiance. J’aurais très bien pu faire comme il est de coutume dans notre société, c’est-à-dire faire comme si elle n’avait rien, détourner le sujet, ou encore fuir. Non, pas question, on ne fuit pas. Quand je vois les gens donner une fois par année, et ne plus en parler avant l’autre d’après. Comme la journée où on parle de la maladie mentale, un jour, point. Le reste de l’année, ça n’existe pas la maladie mentale ?

 Annie est partie le 4 septembre 2020 à l’âge de 41 ans. J’ai vu sa peau et ses yeux devenir jaunes. J’ai vu tous les deuils qu’elle a dû faire à chacun de ses derniers jours. Manger de la poutine, fini, elle ne passe plus, venir faire des nuits de films d’horreur à la maison, terminé, plus capable de descendre et monter les marches chez elle, et chez-moi aussi d’ailleurs, la slush s’il vous plaît ? Non ! Ça aussi, ça ne passe plus ! 

 La dernière journée que je suis allé lui rendre visite, la hanche et le côté droit de son bassin ont cassé. Elle a été mise dans un coma palliatif, car c’était le seul moyen de lui garantir un certain confort. Le lendemain matin elle partait entourée de tous ses proches après seulement 3 jours à l’unité des soins palliatifs. Moi j’ai eu la chance d’avoir un dernier moment, seul avec elle, bien qu’elle soit sous anesthésie, la veille vers 22 ou 23 heures.

 Mille questions me sont passées par la tête. Pourquoi c’est moi qui devais l’accompagner, pourquoi on était si proches, pourquoi ? Les derniers mots qu’elle m’a dits sont « je m’excuse ! » de quoi ? J’ai eu la chance de lui dire 10 fois par jour « je t’aime », de la coller autant de fois que je le voulais. J’ai eu la chance, après de nombreuses déceptions, de lui prouver que certaines personnes sont encore là pour leurs proches jusqu’au bout et elle n’a pas passé ses derniers mois à l’hôpital, comme c’était prévu initialement. 

 Le comble, elle me répétait toujours que son plus grand regret était de ne pas avoir vécu une véritable histoire d’amour. Trois mois jour pour jour après son départ, j’ai connu un coup de foudre deux jours après lui avoir demandé de mettre la personne dont j’avais besoin sur mon chemin. Mon premier véritable amour, l’histoire qu’elle n’a pas eue en quelque sorte et qui se poursuit encore aujourd’hui. La fête de mon amour, le 9 février — relisez le premier paragraphe. Je ne suis pas très superstitieux, mais je ne crois pas au hasard. Ne t’excuse pas Annie, je te remercie. Pour les lecteurs, la plus grande peur des gens malades, c’est qu’on les fuit. Soyez courageux et aidez-les à regarder la maladie dans le blanc des yeux. Ça fait mal, ça fait de la peine, mais c’est comme ça qu’on va cesser de vivre dans les tabous et affronter nos peurs. 

Mon étoile filante est malheureusement passée, mais combien elle m’a fait rire. Combien elle était énergique. Je vous souhaite une Annie dans vos vies, car au-delà de la fin, elle m’a légué une panoplie de beaux moments, et toute une leçon de vie. La résilience. Adieu mon amie, et ne t’inquiète pas, je ne t’oublierai pas.

 

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