#F**ktoute

Lettre ouverte par Vincent Boisclair

Vincent Boisclair est originaire de Victoriaville et étudiant à l’Université de Sherbrooke. Militant pour l’environnement et les droits humains, il s’implique dans une variété d’associations et d’initiatives.

Cette lettre ouverte a été publiée d’abord sur Instagram et relayée sur Facebook par Catherine Dorion dans les dernières semaines. Nous avons jugé bon de la relayer à notre tour avec l’autorisation de son auteur.

 

Notre premier ministre, François Legault, demande aux jeunes Québécois de « faire partie de la solution » pour lutter contre la crise sanitaire actuelle. Les jeunes sont-ils cependant suffisamment écoutés hors pandémie pour que nous soyons encore attentifs quand des communications de crise doivent être reçues et appliquées?

70 heures semaine devant son ordinateur : télétravail, télé-étude, télé-loisirs, télé-vie sociale, télé-nouvelles, télé-débat, télé-toute, télé f**k toute. Les 0 pis les 1 sont maintenant notre norme de communication chez nous qui vivions de rapprochements. Appartement trop petit avec trop de monde pis trop cher. Ouais, on fait nos examens dans la cuisine pendant qu’un coloc prépare son macNcheese du Dollorama pis que l’autre checke un tutoriel sur la TV pour apprendre à méditer son anxiété. Mais c’est correct parce que je suis super bien installé pour étudier. Évaché dans mon lit, dans ma chambre pas de fenêtre, le laptop sur mes cuisses, je lis mes 12 articles scientifiques sur les conséquences du post-matérialisme. C’est bizarre, mon physio payé par mes assurances collectives m’a dit que je commençais à avoir des problèmes de dos. Moi qui ne voulais plus retourner étudier parce que je viens tout juste de graduer. Qu’est-ce que je fais encore à l’école? Scusez, je voulais dire : qu’est-ce que je fais encore à la maison? Mais ces temps-ci y’a pas de job. Y’a pas de futur possible. Pas de rêves. Pas d’aspirations pour autre chose que le day to day. J’étais censé partir voyager. J’étais censé me trouver une job à la hauteur de mes capacités. J’étais censé triper ma vie. C’est ce que vous m’aviez dit.

Au lieu, maintenant vous me dites d’aller contribuer à la société. Je dois devenir travailleur essentiel. « Va travailler au Tim. Va travailler au Canac. Va travailler au Super C. Le jeune, y’en a de la job. Y faut juste chercher un peu plus fort! » HEY, j’ai étudié 20 ans de mes 25 ans de vie parce que VOUS m’avez dit que je ne voulais pas, plus tard, travailler au Tim, au Canac ou au Super C. VOUS m’avez dit que ces jobs étaient des jobs étudiantes. VOUS m’avez dit que c’était des jobs de merde. Mais maintenant, c’est ça que je fais, parce qu’y faut que je paye mes bills. Pis au-delà de ça, y faut que je voie des humains. Je ne suis plus capable d’être seulement entre mes 4 murs! Faque je vends mon corps pour me contraindre aux obligations sanitaires. Parce que j’y crois, à ces obligations sanitaires. Parce que je sais que c’est important. Mais pourquoi est-ce que si mon ami vient m’acheter un laptop pour seulement 24 versements mensuels de 60$, j’peux le voir le temps de ma vente? Mais s’il a besoin de 24 versements de larmes le temps de décompresser, il devra attendre 3 mois sur une liste d’attente pour ensuite se payer un psy à 110$ la séance… La bonne nouvelle, c’est que si on dit que notre santé mentale ne va pas, on a un gouvernement là pour nous autres! Bin oui toé, il va mettre sur pied une APPLICATION pour nous aider à gérer nos troubles d’anxiété! Yes, mon ami! Après mes 70 heures de télé-toute, je vais enfin pouvoir aller me statcher sur mon cell pour faire mon autoanalyse avec mon télé-psy gratuit. Parce que bin oui, entre un psy qui a étudié 8 ans à l’université pis moé devant mon cell sur une application, c’est pareil! Cette stratégie du gouvernement n’est surtout pas une façon dissimulée de ne pas investir en santé mentale. Parce que tsé, dans 5 ans, on l’sait, il faudra retourner à l’équilibre budgétaire malgré la plus grande crise sociale que nos générations aient connue.

Au final, ça reste l’fun, parce que malgré ces défis, ma génération, on s’fait dire qu’on peut faire partie de la solution de cette grande pandémie. C’est positif! Mais gang, on n’est pas dupe! On le sait que c’est un message double. Une façon subtile et détournée de nous dire que c’est notre génération, le problème. Mais toé, chose, dans ton 5 à 7 du jeudi soir sur Zoom avec ta p’tite coupe de vin, as-tu regardé pourquoi on n’en était pus capable? Pourquoi on n’était pas si bon pour respecter les normes sanitaires? Est-ce que ce serait nos appartements trop petits? Nos budgets trop serrés? Nos troubles d’anxiété? Nos espaces de travail non adaptés? Nos rêves détruits? Non, selon ce que j’en entends, c’est juste parce qu’on est des jeunes anarchistes qui se foutent des règles. « Go la gang, on va faire le party ce soir! On va tuer des milliers de personnes en se mettant à risque! Ça vous dit? Ça semble une bonne idée! Non? » C’est ce que j’entends de mes ami.es tous les soirs, sans aucun doute. Pis j’aimerais bin ça vous écouter, mais c’est bizarre, j’ai plus de difficulté ces temps-ci, sachant que depuis que je suis né, on ne nous écoute pas.

Ça fait depuis que je suis en couches qu’on me dit qu’on vit une crise. Une crise climatique. C’est vous qui me l’avez appris. C’est vous qui me dites dans les nouvelles que, parti comme c’est, mon futur ne sera jamais aussi beau que le vôtre. Pis ça, vous le savez. Pis vous décidez de ne pas agir. En toute impunité. Au nom de notre sacro-sainte croissance économique – que je n’ai jamais choisie, ni même demandée!

Recycler, composter, covoiturer. On le sait que ce n’est pas assez! C’est comme si aujourd’hui on disait : lavez-vous les mains, c’est juste une petite grippe. Ça va passer. Ça ne marcherait pas! Bin ça ne marche pas plus pour la crise climatique! On a besoin de mesures drastiques et radicales. Je ne suis pas scientifique, mais une fraction de ce que nous faisons en ce moment serait probablement suffisante pour s’attaquer aux problèmes! Je ne demande qu’un avenir de qualité. J’men criss de devoir abandonner votre rêve de la maison 2 étages avec un VUS parké en banlieue. J’veux juste avoir le droit de respirer un air pur pis voir mes ami.es! Est-ce que c’est trop demander?

Faque c’est à mon tour. Je vous le dis : vous pourriez faire partie de la solution. Mais au lieu, en pleine pandémie, on nous vend un pipeline Gazoduq-GNL jusqu’au Saguenay. Une loi 66 réduisant les procédures environnementales. Pis des ministres en environnement au patrimoine. Alors, m’accordez-vous le droit de vous relancer dans votre discours positiviste? Allez, vous pouvez le faire! Vous pouvez faire partie de la solution! Ah pis, svp. Ne me dites pas que je n’ai pas le droit à ce discours parce que je suis un enfant gâté. Oui, j’ai eu 1250$ par mois cet été après avoir envoyé des CV un peu partout pis avoir travaillé sur une ferme. Mais je vous le promets, j’ai hâte d’avoir une job dans mon domaine. À la hauteur de mes aspirations. Là, je vais pouvoir payer mes impôts et rembourser cet argent. En attendant que je puisse rendre ce dû à la société, j’espère qu’on va aller chercher l’argent là où il est avant de me pointer du doigt. Salut Bombardier. Salut PKP. Salut les Desmarais. Salut la famille Saputo. Salut Couche-tard. Ah pis, svp, encore. Ne me dites pas qu’ils ont travaillé bin plus fort pour avoir leur argent. Ces temps-ci, dans leurs palaces, avec leurs équipes de support présentes physiquement, leur droit à voyager dans leur jet privé, leur capacité à se payer des services de soins de qualité. Ah oui, pis j’oubliais, leur chaise de travail confortable avec un bureau ergonomique ayant une porte. DA F**KING DREAM! J’pense qu’on mérite un peu des fruits de leur travail pour maintenir notre monde en vie.

Bon, scusez. J’pense que je pompe un peu trop. Mais ça va. Ça va passer, j’ai ma nouvelle petite routine. Je m’étire 2 heures pour éviter mes douleurs de dos. Je médite 1 heure pour gérer mon anxiété. Je cours 45 minutes pour éviter de rester assis. J’appelle pendant 1 heure des ami.es pour m’éloigner de l’isolement. Pis j’attends 24/7 qu’on arrête de dire que je fais partie de la solution, pis qu’au lieu, on commence à nous écouter avant de nous dicter quoi faire.

 

Crédit photo: TimKvonEnd (Pixabay)

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