Photo : Alice Beaubien

Non, Québec, tu n’es pas raciste

Québec, il faut qu’on se parle.

Pas la ville, bien que t’es une genre de loupe pour observer la province, mais Québec comme dans Gatineau, Rouyn-Noranda, Chicoutimi, Montréal, Gaspé et toutes les autres villes. Je sais que tu n’aimes pas parler de racisme, et que ça fait drôlement longtemps qu’on en jase, mais avouons-le, notre identité nationale repose principalement sur deux choses liées et qui commencent à mal vieillir: un idéal communautariste chrétien et une fierté d’avoir résisté.

Contre la famine, la maladie et l’hiver, contre le régime anglais, puis contre le capitalisme. Le fait est que dans notre confort post-référendaire, l’identité québécoise nous parait moins que jamais menacée, et paradoxalement, plus que jamais fragilisée. Malgré un recul dans la métropole, la situation du français s’est stabilisée, voire améliorée (jamais autant de personnes n’ont été lettrées au Québec qu’en ce moment). Économiquement, la province joint le pas des autres pays de l’OCDE. Comment alors entretenir le sentiment d’urgence du village de Gaulois assiégé ?

Revisiter le Québec d’autrefois

Et si c’était la modernité, libérale puis néolibérale, cette injonction à entrer dans l’ultra-compétition mondiale, apparue d’abord comme un droit d’exister pendant la révolution tranquille, puis comme des exigences du marché dès les années 80, qui avait finalement sapé certaines particularités du fait québécois ? Probablement plus que le 3% de la population qui est de confession musulmane.

Avant de chercher à mettre un visage sur notre crise existentielle, il faudrait peut-être se regarder dans le miroir et prendre acte de notre propre histoire… revisiter nos relations avec les peuples autochtones, identifier l’héritage chrétien pour en faire la synthèse… la liste est longue.

Hérité d’une religiosité dysfonctionnelle avec une emphase marquée sur les rituels plus que sur les valeurs, l’important ici est d’avoir patte blanche, quitte à la peindre en entier. Elle n’est pas si loin l’époque où l’on pouvait agir en tout impunité, en autant qu’on confessait nos péchés devant Dieu. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes, il ne fallait surtout pas faire de chicane.

La survie du peuple québécois, à travers le récit de ses historiens, passe par sa forte intégration et sa capacité de résilience. Toutefois, une réactualisation de ces textes du terroir dénote une volonté romantique et politique de retour à la terre à une époque où le territoire se vidait pour remplir les usines de Montréal, puis de Boston. Une socio-histoire du Québec tend plutôt à mettre en relief le dynamisme de sa culture, un pas dans l’Europe via une tradition française, et les deux pieds dans l’américanité. Notre survie aux hivers rigoureux est tributaire des savoirs millénaires des autochtones, rappelons-le.

De l’idée à l’action

Je le sais, Québec, tu es fier d’avoir « tassé » la religion, même si t’as gardé ton crucifix à l’Assemblée nationale, et que tu oublies vite que les sociétés libérales sont le produit des réflexions d’intellectuels d’un autre siècle, à une époque où toute science ou philosophie devait se légitimer par son rapport à Dieu. « Nos » valeurs sont bel et bien celles d’un temps révolu, qu’on remet d’une part trop peu en questions, et d’autre part, qu’on prend rarement le temps d’inscrire réellement dans des actions.

Il ne suffit pas de dire que les hommes et les femmes sont égaux pour mettre en place une société égalitaire. Peu importe le nom qu’on donnera à une commission sur le racisme; qu’il y ait une journée contre l’islamophobie ou non, un fait demeure : des personnes racisées subissent de multiples oppressions dans toute société… même au Québec.

Certaines sont systémiques, au sens où elles sont encouragées, maintenues, valorisées par le « système », que ce soit par la culture ou par les institutions. Celles-ci sont plus facilement identifiables et traitables. Les autres formes d’oppressions proviennent des individus et des préjugés qu’ils transposent sur les autres.

Ainsi Québec, je ne veux pas que tu t’énerves avec ça, mais t’as quelques squelettes dans ton placard qui t’empêchent d’avancer. Si je comprends la réticence que tu as à porter toute la culpabilité du passé, du présent et du futur sur tes épaules, je m’explique mal ton entêtement à ne pas pointer ce qui fait problème. Tu peux refuser d’en parler et faire le « bacon » par terre parce que « t’es pas raciste », mais pendant ce temps, il y a des blessures qui cicatrisent mal.

Ça saigne pas mal d’ailleurs, alors que médias et chroniqueurs alarmistes font de n’importe quel cas d’accommodement un outrage au fait québécois, à une époque où plus que jamais, on observe des inégalités au Québec, remettant en question cette unité nationale imaginée. Et le pus commence à déborder, alors que croix gammées et pattes de loups circulent librement dans les rues, sous la protection des corps policiers, au nom de la « liberté d’expression ».

Québec, je sais que t’es jeune et pas encore pleinement un adulte, mais tu as une belle occasion de fonder les nouvelles bases de ton identité… surtout si « t’es pas raciste ».

Consulter le magazine