Considérations éthiques au pays des études cliniques

Sous promesse d’obtenir de généreuses compensations monétaires, de nombreux étudiants se portent volontaires pour participer à des études cliniques menées pour le compte de compagnies pharmaceutiques. Une pratique tout à fait légale qui, bien que nécessaire à l’élaboration de nouveaux médicaments, soulève des questions éthiques.

Travailler l’été et vivre sur ses réserves l’hiver : comme bien des étudiants, Sébastien (nom fictif) a opté pour cette stratégie à l’été 2011. Malheureusement, alors qu’il venait de décrocher un emploi dans la restauration, celui qui a aujourd’hui quitté les bancs de l’Université Laval s’est malheureusement blessé au pied lors d’une partie de basketball. Résultat net : plusieurs semaines sur le carreau, en convalescence et un manque à gagner de centaines de dollars.

C’est alors que Sébastien entend parler d’une étude clinique menée par Anapharm (aujourd’hui inVentiv Health clinique), une entreprise de Québec spécialisée dans la réalisation d’études cliniques pour des entreprises pharmaceutiques. Tout d’abord hésitant – « comme tout le monde, j’avais mes doutes » -, il se laisse tout de même convaincre de participer, non pas s’en avoir posé maintes questions, par une connaissance y travaillant.

Presque cinq ans plus tard, le jeune homme dit n’avoir jamais regretté sa participation. Pas d’effet secondaire, ni de désagrément. Juste 36 heures passées en captivité à se faire retirer du sang à intervalles réguliers, question de mesurer le taux d’absorbation d’un antifongique qu’on lui avait administré. Le tout compensé par la rondelette somme de 1000$, soit environ 95 heures de travail au salaire minimum.

Une ambigüité certaine

Un cas unique en son genre ? Pas du tout, soutient Dominique Goubau, professeur à la Faculté de droit de l’Université Laval. « Je suis au fait d’au moins deux cas d’étudiants en droit qui se sont payés leurs études universitaires de cette manière. C’était, selon eux, la manière la plus facile de procéder », raconte le spécialiste en droit des personnes. Sébastien lui-même se souvient que les volontaires présents lors de sa participation étaient là pour des raisons semblables. « Il y en a pour qui c’était la quatrième, cinquième, voire la huitième participation. »

En fait, les étudiants universitaires semblent être une clientèle privilégiée pour les entreprises dans ce domaine. Le 16 décembre dernier, par exemple, inVentiv Health clinique publiait sur sa page Facebook un avis de recrutement. L’image (voir photo), deux jeunes dans la vingtaine, était coiffée de la réclame suivante : « Nos études, on les fait chez inVentiv Health clinique ! À cinq minutes du campus ». Montant promis pour la participation à cette étude clinique commençant le 13 janvier 2016 : 1160$.

« Tout le monde sait que ceux qui participent à ce type d’études sont là pour les compensations, pas pour l’avancement de la science ! » – Dominique Goubau

Selon Dominique Goubau, il existe une ambiguïté certaine quant à la notion de compensation monétaire, légale, et celle de rémunération, qui est illégale. « Si la décision de participer ou non à une recherche est motivée uniquement par l’appât du gain, c’est contraire aux dispositions inscrites dans le Code civil du Québec, explique-t-il. Or, tout le monde sait que ceux qui participent à ce type d’études sont là pour les compensations, pas pour l’avancement de la science ! Les entreprises privées jouent là-dessus. »

Un rôle « essentiel »

Sylvain Cloutier, directeur des opérations cliniques chez inVentiv Health clinique, rejette cet argument du revers de la main. « Nous, c’est très clair que nous donnons une compensation proportionnelle au temps investi, et non un [incitatif à participer], lance-t-il. Qui plus est, Santé Canada, par l’entremise de comités d’éthique, approuve tout ce qu’on fait, y compris le montant de la compensation, que nous sommes par ailleurs tenus de donner. »

Si l’entreprise pour laquelle il œuvre est aussi agressive auprès des étudiants, c’est pour des motifs méthodologiques et pratiques. « C’est une clientèle jeune et en santé qui rencontre nos critères d’éligibilité pour 90 % de nos études. Ils ne sont pas sous médication, n’ont pas de maladie et sont généralement assez disponibles », explique-t-il.

S’il convient que la présence d’une compensation « pouvant aller jusqu’à 5000$ » fait partie des motivations des participants, M. Cloutier pense néanmoins que le tableau est incomplet. « C’est normal de vouloir être récompensé pour ses efforts, même si on souhaite faire avancer la science », affirme-t-il, soulignant du même coup que « s’il y a de nouveaux médicament sur le  marché, c’est parce que des compagnies comme la nôtre les ont testés ».

Profession : rat de laboratoire

Et que penser de ces participants qui font de « rats de laboratoire » un emploi à temps partiel ? « Les règles que nous suivons ne font état d’aucune limite de participation tant et aussi longtemps qu’il n’y a aucun risque pour la santé du volontaire. Autrement dit, si nous n’avons aucune raison de le refuser, un individu peut prendre part au nombre d’études qu’il désire », explique Sylvain Cloutier, tout en assurant « qu’il y a beaucoup de facteurs limitatifs » et de « protocoles qui restreignent les participations subséquentes. »

Pour éviter ce qu’il qualifie de « dérive », Dominique Goubau pense que la mise en place d’un « système » qui limiterait le nombre de fois qu’un individu peut participer à des recherches serait de mise. « Je pense tout haut, prévient-il, mais un modèle calqué sur celui des dons d’organes ou de sang écarterait les dangers liés à la répétition successive de procédures. Qui plus est, il tuerait dans l’œuf la commercialisation à outrance de la participation à des études cliniques fortement compensées », conclut l’avocat.

Le saviez-vous ?

Les essais cliniques menés par inVentiv Health clinique sont dits de « bioéquivalence », ou de phase I. C’est lors de ces derniers qu’un nouveau médicament est évalué pour la première fois chez l’humain. « 90% de nos études consistent à expérimenter des médicaments génériques », précise Sylvain Cloutier, directeur des opérations cliniques chez inVentiv Health clinique.

Un peu de recherche clinique est menée dans des établissements affiliés à l’Université Laval, « mais ce sont surtout des études de phases III, où les participants, plus nombreux qu’en phase I, tirent un avantage médical de leur participation », explique Édith Deleury, présidente du Comité universitaire d’éthique de la recherche (CÉUR).

Jadis nommé Anapharm, inVentiv Health a été fondée en 1994 par Marc LeBel et François Vallée, tous deux chercheurs à l’Université Laval. L’entreprise emploie 500 personnes dans l’un ou l’autre de ces nombreux secteurs (étude clinique, bioanalytique, biostatistique, etc.). L’entreprise mène de 80 à 100 projets par année.

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