Photomontage : Alice Beaubien

Four Loko et FCKDUP : Autopsie d’un concept intoxicant

L’année 2017 aura sans contredit été l’année des boissons alcoolisées sucrées, les Four Loko, FCKDUP et autres. Il y aurait d’ailleurs eu une augmentation de vente de 319% cette année-là, seulement pour ces produits à plus de 11% d’alcool. Les jeunes sont évidemment les principaux suspects de cette montée en popularité. « Ce n’est certainement pas moi qui achetais ça », rigole Réal Morin, médecin spécialiste en santé publique et médecine préventive et Médecin-conseil à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Les jeunes auraient en effet été particulièrement visés par l’offensive de l’industrie des boissons alcoolisées. 

Selon le rapport de l’Institut intitulé, Intoxications aiguës à l’alcool et boissons sucrées alcoolisées, sorti à la mi-mars, cette augmentation de vente semble concorder avec une augmentation du nombre de cas d’intoxication dans les urgences du Québec chez les 18-24 ans. Au total, en 2017, il y aurait eu 2334 jeunes d’entre 12 et 24 ans en moyenne sept par jour, qui se sont retrouvés à l’hôpital, intoxiqués à l’alcool. 

 Avant même le triste sort de l’adolescente à Laval, les autorités étaient déjà en alerte. En octobre 2017, la CAQ a présenté une motion qui a été adoptée à l’unanimité, demandant une enquête sur les cas d’intoxication chez les jeunes, présumément causés par les boissons alcoolisées sucrées. L’INSPQ récupère le mandat quasiment le jour même. Et, c’est ce qui a donné ce rapport, cinq mois plus tard. 

 La publicité y est certainement pour quelque chose. « On voit l’augmentation des ventes dans la dernière année, ce n’est pas juste parce qu’ils sont arrivés sur les tablettes », affirme la professeure du département d’information et de communication de l’Université Laval, Manon Niquette, qui a participé à l’élaboration du rapport. 

« C’est super accessible en plus, on trouve ça dans tous les dépanneurs. Les jeunes ne les ont pas demandés, mais les compagnies savent très bien comment étudier les comportements des jeunes. Elles savent comment développer de l’attrait pour leurs produits », remarque le médecin spécialiste, Réal Morin, lui aussi auteur du rapport. 

 

Une publication qui semble être dirigée vers les jeunes du secondaire. Selon le rapport, la fin de l’année scolaire est l’un des moments où il y a le plus de cas d’intoxication admis l’urgence chez les 12-17 ans. (Capture d’écran : Érik Chouinard)
Profiter de la mémétique 

Les agences publicitaires ont pris d’assaut les médias sociaux avec leurs campagnes pour boissons alcoolisées sucrées. « Le Groupe Geloso n’est pas seulement dans une logique de diffusion de publicité comme à la télévision, précise Mme Niquette, ce qu’on veut faire c’est susciter de l’engagement de la part du public, mais surtout des jeunes. » 

Les compagnies emploient des stratégies pour aller chercher le public des mèmes. Les firmes de markéting ont ainsi développé un esthétisme web qui se rapproche beaucoup de ce genre de contenu. Le but est de faire réagir. 

Mme Niquette donne l’exemple d’une marque de boisson qui publie quelque chose de comique dans l’espoir qu’un jeune réponde avec un commentaire comique. Plus, il y a de réaction plus la publication sera vue. « C’est inadmissible qu’on transforme les jeunes en véhicule de messages pour les boissons alcoolisées », dénonce la professeure. 

Elle mentionne aussi l’utilisation du trolling qui peut être tiré à l’avantage des compagnies. Celles qui subissent ce genre de traitement gagnent tout de même une certaine visibilité. Il y a alors un genre de jeu qui se crée pour amener le jeune à dire des « niaiseries », tel que l’indique Mme Niquette. 

Les entreprises de boissons alcoolisées font alors miroiter aux jeunes un certain gain de capital social. « Les gens se font des running gags avec les hashtags, on le voit dans des pages comme Fruiter », relate-t-elle. 

Règlementations désuètes 

Dans le rapport de l’INSPQ, il est question de moderniser le règlement provincial sur la promotion, la publicité et les programmes éducatifs en matière de boissons alcooliques. « Il y a des activités que j’ai vues dans les médias sociaux qui ne semblent pas respecter le règlement », souligne Mme Niquette. 

Elle dénonce notamment l’usage de certains symboles dans les publications de Poppers Coolers qui pourrait être vu comme étant adressées à un public trop jeune. «Pour moi, un gros renard en peluche comme mascotte, c’est un personnage fictif associé à des mineurs, décrie la professeure, même s’il a une grosse voix, c’est un toutou! » 

La Régie des alcools, des courses et des jeux a le mandat de surveiller le contenu publicité qui se fait sur l’alcool. « Il ne semble pas, d’après ce que j’ai pu voir, avoir de veille pour faire appliquer le règlement aux médias sociaux », observe Mme Niquette. 

Le rapport de l’INSPQ donne aussi comme recommandations d’appliquer le règlement de la régie, pas seulement au texte principal de la publication, mais aussi aux commentaires. Elle ne doute pas que la loi sur la publicité se devrait d’être plus cohérente avec l’ère du web. 

 « Les compagnies devront être tenues de faire attention de ne pas susciter de réactions qui pourraient les faire contrevenir au règlement, par exemple en incitant une personne à consommer des boissons alcooliques de façon non responsable. » 

De son côté, Réal Morin plaide aussi pour une cohérence, mais au niveau des produits alcoolisés en tant que tels. « Évitons de traiter seulement des boissons sucrées alcoolisées, il faudrait instaurer un prix minimum pour toutes les boissons alcoolisées et forcer pour qu’un contenant à usage unique ne contienne pas plus qu’une consommation d’alcool standard », soutient-il. 

Vers la fin des brosses à faible prix 

Selon M. Morin, l’importance d’instaurer un prix minimum vient du fait que le prix est le principal déterminant de la consommation d’alcool. « Les rabais et les deux pour un sont des incitatifs à la consommation et ça ne sert pas l’intérêt public », insiste-t-il. Avec tous les problèmes de santé publique qui lui sont associés, le médecin croit fermement que l’alcool ne devrait pas être considéré comme un bien de consommation comme les autres. 

D’après lui, il ne faut pas se fier aux entreprises qui produisent des produits alcoolisés. M. Morin souligne, le manque de responsabilité sociale dans le fait de vendre deux cannettes pour 7$. « C’est un non-sens, parce que dans une seule cannette de Four Loko ou de FCKDUP à 11,9%, tu as déjà 4 consommations standards », explique le médecin. 

Selon les normes, une seule cannette de l’un de ces breuvages représente donc déjà une consommation abusive, qui est fixée à trois consommations pour les femmes et à quatre pour les hommes par période de deux heures. « C’est trop d’alcool dans un seul contenant pour une personne, tu ouvres une cannette, tu ne la refermes pas et tu n’as pas tendance à la partager. » 

Déjà la loi pourrait changer. Au provincial, une commission parlementaire se penchera sur le sujet. Les produits alcoolisés sucrés à un taux d’alcool de plus de 7% pourraient ne plus être vendus dans les dépanneurs. 

Malgré le fait que les boissons Four Loko et FCKDUP aient été retirées des étalages, il restent encore plusieurs options avec de hauts taux d’alcool et de sucre. Pour la plupart, ce sont même aussi des produits du Groupe Geloso. (Crédit photo : Érik Chouinard)
Produit trompeur  

Le fait que ces boisons sont particulièrement sucrées rend plus facile d’ingurgiter ces grandes quantités d’alcool. « Prendre l’équivalent de quatre bières en 30 minutes ou 15 minutes, c’est plus tough à boire et ça te lève le coeur », avère M. Morin. Le sucre trompe plus facilement la vigilance des buveurs.  

Les manufacturiers ont aussi trouvé un moyen détourné d’ajouter de la caféine qui est normalement interdite dans les boissons alcoolisées. Leur astuce consiste à utiliser du guarana en tant qu’édulcorant. Cet ingrédient contient tout de même de la caféine. Cela permet de contrer les effets plus dépresseurs de l’alcool, tel que l’explique le médecin. 

« Alors c’est ça le produit, trop d’alcool dans un contenant trop gros; trop sucré qui masque le goût, le rendant plus consommable; stimulant qui réduit l’effet dépresseur et puis pas cher. C’est une mixture pour aller à l’urgence! » 

Pas banal l’alcool 

La problématique de la consommation abusive d’alcool chez les jeunes ne s’arrête pas aux boissons sucrées alcoolisées. Et, selon M. Morin, les interventions en milieu universitaire doivent aller bien au-delà de la sensibilisation. « C’est un non-sens qu’un étudiant puisse avoir accès à de l’alcool presque gratuit, financé par les compagnies », ajoute-t-il. 

Il n’y a pas de doute que l’alcool est bien domestiqué dans la société. À peu près 84% de la population boit, selon les chiffres du médecin de l’INSPQ. De ce nombre, il y aurait environ le quart qui en ferait une consommation excessive; c’est-à-dire qu’au moins une fois par mois, ils en consomment trop dans une même occasion. 

« On a 200 problèmes sociaux et de santé associés à l’alcool », pose M. Morin. Ces problématiques vont de la violence et du suicide jusqu’aux accidents routiers. Sans oublier aussi toutes les maladies chroniques qui y sont associées comme des cancers, des maladies du coeur, des maladies du foie, etc. « Ce n’est pas rien l’alcool », conclut le médecin. 

 

 

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