La dernière décennie a fait naître des progrès substantiels dans l’analyse du génome humain et apporte une certaine maturation dans la compréhension de la biologie des tumeurs

La pharmacogénétique pour déjouer le cancer

Bien que de nombreux progrès soient encore nécessaires, des avancées récentes ont conduit au développement de thérapies ciblées et fournissent de nouvelles directives pour l’élaboration de médicaments. La pharmacogénétique est aujourd’hui reconnue comme l’étape fondamentale vers une médecine personnalisée. Elle étudie la façon dont les individus réagissent aux médicaments selon leur génotype.

Maya Bernard

Courtoisie : Wikimédia, US Federal governement, Creative commons
Courtoisie : Wikimédia, US Federal governement, Creative commons

La compréhension des mécanismes des processus biologiques qui régissent les cellules cancéreuses et les cellules normales dont elles sont issues ont longtemps influencé les traitements du cancer. Ces efforts ont aujourd’hui changé. Nous sommes partis de vieilles options thérapeutiques cytotoxiques pour le patient, pour arriver à des traitements chimiques et biologiques qui sont conçus pour cibler précisément un gène critique ou une voie métabolique clé. Cela a permis un certain degré de contrôle de la tumeur pour les cancers fréquents tels le cancer du testicule et la leucémie infantile aiguë. Par exemple, les thérapies axées sur les voies cellulaires ont considérablement amélioré les résultats pour des leucémies myéloïdes chroniques ( LMC ) et des tumeurs gastro-intestinales.

Toutefois, ces progrès sont coûteux, au propre comme au figuré. En effet, les nouveaux traitements coûtent fréquemment des milliers de dollars par mois et sont parfois associés à une toxicité qui peut affecter négativement la vie des patients.

Mutations somatiques imprévisibles, variations héréditaires chez l’individu, voilà seulement deux exemples de tous les facteurs qui peuvent influer sur l’issue des maladies ou de la réponse aux traitements.

Ces mutations, qui sont les biomarqueurs du cancer, peuvent être classées sous marqueurs-pronostiques – c’est-à-dire être associés au cours ou au résultat d’une maladie – ou comme marqueurs-prédictifs – c’est-à-dire être utilisés pour identifier les sous-populations de patients les plus susceptibles de répondre à un tel type de thérapie.

L’information génétique peut donc être utilisée pour aider à la fois le choix d’un traitement efficace, ainsi que pour éviter les traitements représentant un risque inacceptable et pouvant donner lieu à des réactions indésirables.

Gènes différents, traitement différent

Les différences héréditaires reliées aux effets des drogues ont d’abord été documentées dans les années 50 en termes de « métabolisme des médicaments ». Cette expression a donné lieu à l’expression « pharmacogénétique », soit l’étude de l’influence du génotype ( ou information génétique ) sur la variabilité de la réponse à un
traitement médicamenteux.

La pharmacogénétique est maintenant étendue à tous les aspects de la distribution des médicaments, depuis l’absorption, jusqu’à la distribution et l’excrétion dudit médicament, et promet de révolutionner la
thérapie médicamenteuse.

Le tableau 1 décrit quelques exemples actuels où le génotype est utilisé pour la sélection d’une chimiothérapie donnée.

L’analyse de l’ADN tumoral, dans le but de guider le traitement des patients est utilisée depuis plus de 20 ans, mais de façon très sporadique et aléatoire. De plus en plus, la baisse des coûts associés au séquençage de l’ADN de haute qualité permet que le profilage axé devienne une partie courante de la gestion des choix thérapeutiques. Actuellement, le dépistage génétique le plus courant consiste à effectuer une capture d’ADN ciblée, axée sur quelques gènes candidats pertinents, et d’en faire le séquençage.

De la découverte au patient : enjeux et problématiques

La validation de la pharmacogénétique soulève de nombreux défis. Il est souvent difficile de caractériser puis de traiter uniformément et systématiquement les patients afin de quantifier objectivement le type de réponse de la drogue.

La norme standard devrait être d’obtenir l’ADN génomique de tous les patients soumis à des essais cliniques de médicaments, pour permettre des études et une éventuelle validation de l’approche pharmacogénétique. Aussi, ceci est actuellement une pratique de routine pour la plupart des tests cliniques menés par les grandes pharmaceutiques, mais n’est pas encore devenue la norme pour les études académiques.

Le défi est maintenant de trouver un équilibre entre le désir d’appliquer et d’utiliser ces nouvelles connaissances, et la nécessité de s’assurer qu’il existe des données solides soutenant le fait que d’agir selon un marqueur pharmacogénétique est réellement dans le meilleur intérêt d’un patient.

Néanmoins, se baser uniquement sur des études éventuelles et aléatoires pour justifier une mise en oeuvre clinique systématique est peu pratique, car cela implique un lag d’encore 5-10 ans avant que les études soient organisées, conduites
puis interprétées.

Il existe également une déconnexion entre les organismes de financement et la hiérarchisation de ce type d’études, en termes d’engagement financier, d’infrastructures cliniques disponibles et de capacités d’adopter rapidement de nouvelles stratégies.

Actuellement, les efforts sont dirigés vers la création de consensus entre les différentes institutions chargées d’appliquer les informations génétiques sur le choix des thérapies.

Un de ces efforts a mené au Clinical Pharmacogenetics Implementation Consortium ( CPIC ), qui regroupe des participants de plus de 80 institutions sur 4 continents, créé en 2009. Les lignes directrices du CPIC sont examinées par des pairs et publiées dans des revues à haut facteur d’impact. L’objectif principal est d’aborder quelques-uns des obstacles à la mise en oeuvre de tests pharmacogénétiques dans la pratique clinique. Les lignes directrices sont conçues pour aider les cliniciens à comprendre comment les résultats des tests génétiques peuvent être utilisés pour optimiser les stratégies médicamenteuses, plutôt que de décider si les tests doivent être commandés. Ainsi, le CPIC souhaite arriver à une situation de génotypage à haut débit et préventif, ce qui soulève aussi des questions d’ordre d’éthique.

Les bases de la médecine personnalisée semblent solides et de nombreuses preuves indiquent sont importance croissante dans la recherche sur le cancer. Cependant, l’essentiel de son potentiel reste encore à explorer : l’utilisation des marqueurs moléculaires dans la pratique clinique est en augmentation, mais est encore à un stade initial.

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