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Rendre l’eau du robinet en vogue

Lorsque vient le temps de s’hydrater, il n’y a pas que les bouteilles d’eau en plastique qui soient problématiques. Les boissons sucrées, particulièrement populaires auprès des plus jeunes, viennent aussi avec leurs propres enjeux de santé publique. Michel Lucas, docteur en épidémiologie et professeur du Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval, a eu le désir de changer cette situation. Aidé par une quinzaine d’autres chercheurs, il fonde l’initiative VisezEau, ayant comme objectif de normaliser la consommation d’eau non-embouteillée. Il était en conférence sur le campus le 18 janvier dernier pour présenter ce projet.

« L’eau est le choix par excellence pour l’hydratation », s’exclame M. Lucas. Il ajoute qu’il n’est pourtant pas toujours évident d’y avoir accès sans qu’elle soit embouteillée. Plusieurs se tournent aussi vers les jus et autres boissons sucrées.

Ce n’est pas une habitude sans conséquence. Le chercheur en fait la preuve en mentionnant quelques études qui tracent des liens entre la consommation de breuvages sucrés et la prise de poids.

« Nous voulons que l’eau devienne le choix par défaut pour s’hydrater et décourager la consommation de boissons sucrées », affirme-t-il. Pour ce faire, l’organisme a choisi de concentrer ses efforts sur les enfants de l’âge du primaire.

Il vise ainsi un changement de mentalité plus profond. « Les habitudes alimentaires se développent surtout chez les plus petits », souligne-t-il, pour expliquer le choix de la population visée.

De plus, le chercheur explique que l’obésité infantile est particulièrement répandue au Canada; elle tend aussi à augmenter avec les années. Il espère ainsi contribuer à mettre un frein à cette progression.

L’obésité infantile, un problème de taille

« Le Canada figure parmi les pays avec les plus haut taux d’obésité d’infantile », relate M. Lucas. Il s’appuie sur les données de l’Enquête canadienne sur les mesures de la santé. Selon cette enquête dirigée par Statistique Canada, ce taux d’obésité serait de 13% pour les 5 à 17 ans, entre 2012 et 2013.

Chez les Premières Nations, le taux est d’autant plus alarmant. L’obésité infantile atteint  65,9% des jeunes de 3 à 19 ans, selon les données citées par M. Lucas. Il met en garde ceux qui sont trop rapides à accuser leur héritage. « La génétique charge le fusil, mais c’est l’environnement toxique et permissif qui appuie la gâchette », illustre-t-il, en citant George Bray, une sommité de la recherche sur l’obésité.

Cet environnement toxique, c’est un monde rempli de sucre. L’American Heart Association recommande de limiter la consommation de sucres ajoutés à 6 cuillères à thé par jour (25g par jour) pour les enfants.  Ceci correspond environ à un seul verre de jus de fruit. Tandis qu’une cannette de liqueur en contient presque deux fois la quantité.

Lucas explique que les plus jeunes sont aussi parmi les plus grand consommateurs ces boissons sucrées. Selon lui, il serait grand temps que ça change. « L’obésité infantile ne découle pas d’un choix fait par les enfants, mais bien de choix faits par la société et les gouvernements », déclare M. Lucas.

Les cibles de VisezEau

Malgré le fait qu’il soit l’instigateur principal de VisezEau, M. Lucas tient mettre de l’avant la part de ses collaborateurs. « J’ai plutôt un rôle de chef d’orchestre », considère-t-il, précisant que le projet ne serait rien sans l’équipe.

VisezEau souhaite s’implanter dans les écoles de la province et observer les effets qu’auront leur intervention sur les enfants de celles-ci. « Chacun des directeurs qu’on a rencontrés ont dit qu’il n’était pas question que leur école ne reçoive pas l’intervention », se réjouit le chercheur.

Chacune des écoles visées par le projet sera équipée de stations d’eau filtrée. M. Lucas insiste sur l’importance de rendre celles-ci attrayante. « La qualité de l’eau sera aussi évaluée », tient-il à souligner.

Ensuite chacun des enfants recevra trois récipients : une petite et une grosse bouteille ainsi qu’un pichet pour la maison. « Ils vont être responsable d’apporter le pichet sur la table à l’heure des repas », avance M. Lucas. Il espère que cette nouvelle routine contribuera à sensibiliser les parents aussi.

Tout ce projet prendra bien entendu de l’argent.  M. Lucas attend cette semaine même une réponse à la demande de subvention déposée auprès des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC). Il a bon espoir, car ce sont eux qui avaient financés les travaux préliminaires.

Si tout se passe comme prévu, le premier groupe d’écoles devrait recevoir l’intervention dès septembre prochain.


Profiter de l’eau

Les multinationales qui possèdent la majorité des boissons sucrées et jus possèdent aussi beaucoup de compagnies d’eau embouteillée. Elles ont des budgets publicitaires immenses qui leur a entre autres permis de faire croire aux consommateurs que leur eau est pure, écologique et sécuritaire, selon ce qu’affirme le chercheur. « En fait, on ne sait pas grand chose sur cette eau, il n’y a pas de normes sauf pour les coliformes fécaux », rétorque-t-il.

L’eau municipale est soumise à beaucoup plus de contrôles avant d’arriver aux robinets. Malgré les campagnes publicitaires, d’après M. Lucas, de 25% à 40% de l’eau embouteillée est en fait de l’eau du robinet. « Ça veut dire qu’un consommateur paie deux fois pour cette eau, une première fois par ses taxes et la deuxième fois à l’achat », s’insurge-t-il

Ceci amène ce qu’il qualifie de la surenchère de l’eau. Il démontre que la marge de profit des compagnies d’eau embouteillée est très élevée. « Les redevances qui doivent d’être verser au Québec sont de seulement 7¢ par 1000 litres d’eau », relate-t-il. Selon ses dires, au Québec acheté une bouteille d’eau québécoise d’un litre équivaut donc à payer 23000 le prix qu’a payé la compagnie.

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