Accord États-Unis–Mexique-Canada : Un coup de théâtre politique

« Tout ça pour ça ? », se demande Louis Bélanger, directeur de l’Institut québécois des hautes études internationales et professeur titulaire de science politique à l’Université Laval. Pour lui, le nom de la nouvelle entente (AEUMC) négociée le 30 septembre dernier s’avère le principal changement à l’accord de libre-échange déjà en place (ALENA) depuis 1994.

Devant le manque de rationalité économique qui pouvait supporter la décision américaine de s’embarquer dans un long processus de négociations, M. Bélanger pense qu’« à la base, la motivation ne peut qu’être essentiellement politique ». Dans un entretien avec Impact Campus, le professeur partage son avis sur les implications politiques sous-jacentes à la conclusion de la nouvelle entente.

États-Unis

La manœuvre s’inscrit en cohérence avec l’image de bon négociateur que souhaite projeter Donald Trump devant la population américaine. Aussi, à quelques semaines seulement des élections de mi-mandat, il se devait de rester sensible à son électorat, qui s’attendait à ce qu’il tienne sa promesse de renégocier les accords commerciaux mis en place par ses prédécesseurs en faveur de l’intérêt des Américains. Une victoire face au Canada et au Mexique s’imposait pour étouffer l’impasse commerciale qui perdure avec la Chine et qui affecte des secteurs-clés de l’économie comme l’agriculture.

Puisque les négociations ont bel et bien abouti à une entente, M. Bélanger pense que M. Trump réussira à convaincre son électorat qu’il aura « vaincu de coriaces méchants » en utilisant sa rhétorique habituelle de représenter l’activité économique de ses voisins comme des menaces à la sécurité nationale des États-Unis. En constatant l’immobilité du taux d’approbation du président à la suite de cette affaire, M. Bélanger soutient que le président risque tout de même de s’en tirer gagnant politiquement.

Canada

« Le [haut] niveau d’intégration économique a parlé et le temps a joué en la faveur des Canadiens », mentionne le professeur de science politique. Par un calcul stratégique, les négociateurs canadiens ont parié sur le fait que les États-Unis souffriraient eux aussi des mesures punitives imposées par le président Trump pour qu’ils se plient à ses demandes. Ils ont gagné ce pari, pense M. Bélanger, en constatant les nombreuses concessions faites par les Américains sur leurs demandes initiales, par exemple l’abandon de la clause crépusculaire. La lenteur du processus s’est finalement prouvée la meilleure alliée pour les Canadiens.

Cependant, le premier ministre Trudeau ne pouvait se permettre de s’éterniser. Lui aussi étant sensible au bilan qu’il devra présenter à sa population la veille d’une année électorale. « Ne pas conclure d’entente aurait certainement nui à son image politique. » Si M. Bélanger reconnait que les concessions sur la gestion de l’offre lui feront défaut auprès des agriculteurs, il croit que la fermeté exercée par son équipe contre l’agressivité américaine renforcera la confiance de sa base électorale en son premier ministre. Puisque le mécanisme de la gestion de l’offre n’a pas été altéré substantiellement et grâce aux compensations promises aux agriculteurs, le professeur estime que le nouvel accord n’aura pas réellement d’impact négatif sur l’issue de la campagne électorale de 2019. Au contraire, il juge que l’issue de cette affaire pourra même jouer en sa faveur.

Mexique

Au Mexique, c’est la passation des pouvoirs vers le nouveau président élu, M. Obrador, le 1er décembre, qui incitait les acteurs à conclure une entente rapidement. Le passé politique de M. Obrador démontre une fervente opposition au libre-échange ainsi qu’une aversion certaine envers le président Donald Trump. Représenté comme un homme politique au caractère fort, fermement campé à gauche et populiste, son arrivée à la table de négociations était donc de mauvais augure pour la conclusion d’une entente multilatérale.

Obrador avait lui aussi intérêt, selon M. Bélanger, à ce que l’entente soit conclue avant son arrivée. Étant probablement conscient des perturbations économiques qu’impliquerait un retrait total d’un accord de libre-échange avec ses voisins du Nord, il appréhendait forcément que son premier contrat en tant que président soit de signer un accord commercial avec Donald Trump. Il se serait trouvé dans une impasse où l’une ou l’autre de ses décisions aurait menacé de fragiliser sa position auprès de son électorat, qui voit d’un mauvais œil tant le libre-échange en soi, que tout rapprochement avec l’actuel président américain.

Une victoire pour tous?

Comment se fait-il que tous les acteurs sortent « gagnants » politiquement de cette affaire ? Précisément parce que, dans la pratique, l’AEUMC n’apportera que très peu de changements concrets dans l’économie des trois pays. Il n’en tient qu’à chacun des leadeurs de vendre à leur population le rôle de bons négociateurs qu’ils ont joué.

Sûr, dans l’absolu, le nouvel accord représente une perte pour le Mexique et pour le Canada, pour qui le statu quo était nettement préférable. Lorsque M. Bélanger s’attarde à ce que le Canada aurait pu perdre, il considère qu’il s’agit d’une victoire relative face aux Américains, qui ont tenté vainement d’imposer leur supériorité.

Bélanger rappelle aussi qu’« après une entente à trois, les Américains étaient supposés donner leur avis de retrait de l’ALENA de six mois, pour être certains que le nouvel accord soit adopté par le congrès. Mais depuis personne n’a rien dit. Donc, l’ALENA restera en vigueur jusqu’à ce que toutes les formalités pour appliquer le nouvel accord soient terminées ». Or ce processus va prendre beaucoup de temps et les évènements politiques déjà mentionnés pourront influencer sur la mise en place du nouvel accord.

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