Alain Lavigne et « l’écriture périphérique des images »

Dans son troisième ouvrage consacré au marketing politique, Alain Lavigne aborde les stratégies utilisées par les différents partis politiques pour racoler les électeurs-rices en vue des suffrages de 1970. L’essai politique Bourassa et Lévesque – Marketing de raison contre marketing de passion insuffle un peu de clairvoyance devant l’arsenal publicitaire déployé sur la scène politique. Impact Campus s’est entretenu avec l’auteur et professeur au département d’information et de communication de l’Université Laval

« Je voulais raconter l’histoire de la communication électorale, à travers des personnages qui, malheureusement, ne sont plus que des boulevards et des autoroutes ». Ainsi, Monsieur Lavigne articule-t-il l’idée à la base de son projet inusité : celui de présenter des personnages politiques « non pas sous l’angle de l’histoire classique, mais sous celui de leurs conseillers ».

Pour ce faire, le professeur a consulté les journaux, il a exploré les fonds d’archives … de même que les fonds de caricatures, spécialement celui du musée McCord à Montréal. Toutes amicales et inoffensives que puissent paraître les caricatures, Alain Lavigne est emphatique quant à « l’esprit de synthèse remarquable » qui en caractérise les auteurs. « Par rapport aux deux autres livres, cette fois, les caricatures amènent une plus-value. C’est extraordinaire : elles véhiculent à la fois les enjeux, elles soulèvent les questions cruciales, elles parlent des états d’âme … » Leur importance justifie la tâche supplémentaire qu’il a dû abattre pour mener à terme ce troisième ouvrage comparativement aux deux précédents.

Alain Lavigne, auteur et professeur – Photo : Alice Beaubien
Les objets comme point de départ

Des objets qu’avait colligés Monsieur Lavigne en vue d’une exposition itinérante ont constitué le point de départ de sa démarche. « Les objets me révélaient des stratégies de communication : quand je vois une affiche, je relève le slogan, le visuel, si c’est professionnel ou amateur… Ces éléments-là aident à la compréhension ».

Son écriture est, pour ainsi dire, « guidée par ces objets ». Nimbés de l’aura des évènements auxquels ils sont rattachés, ils jettent un éclairage sur des pans de notre histoire. Ils constituent autant de « traces matérielles liées au comportement des partisans ». Alain Lavigne a éventuellement consacré un premier ouvrage à Duplessis, en 2012, puis un deuxième à Lesage, en 2014.

Le contenu est livré dans un style accessible et néanmoins rigoureux, avec de fortes images et notes de bas de page à l’appui. Compte tenu de certaines énumérations, le-la lecteur-rice appréciera sans doute davantage l’ouvrage s’il consent à le butiner, à le feuilleter en s’attardant à la facture visuelle soignée du livre. « Quand j’écris, je suggère des positionnements d’images dans les pages, une façon de découper les informations », mentionne Monsieur Lavigne. L’auteur de même que les graphistes de l’éditeur Septentrion ont ainsi mûri longuement la disposition des images et des encadrés à travers le corps du texte

Des stratégies de marketing aux antipodes les unes des autres

Bien que le Parti libéral et le Parti québécois fassent l’objet d’un examen approfondi, Bourassa et Lévesque – Marketing de raison contre marketing de passion rapporte les stratégies utilisées par l’ensemble des forces en présence aux élections de 1970. Le-la lecteur-rice a ainsi le loisir de constater combien les campagnes menées par le PQ, le PL, l’UN de Jean-Jacques Bertrand ainsi que le RCQ du coloré Camille Samson diffèrent les unes des autres.

À ce titre, les Libéraux ont affiché des valeurs d’efficacité et de discipline, promouvant la création d’emplois de même qu’une gestion serrée des deniers publics d’une part, et inoculant la crainte de l’éventualité de la séparation du Québec d’autre part. Les moyens relationnels ont été maintenus au strict minimum, les stratèges du parti tenant serrées les brides des candidats. Bourassa, le plus jeune Premier ministre de l’histoire du Québec, a observé les recommandations de ces derniers biens qu’on lui reconnaisse par ailleurs une opiniâtreté et un certain désir de s’émanciper des façons de faire de ses prédécesseurs. Ainsi, le studio télé, dans une ambiance contrôlée, était préconisé comparativement aux bains de foule dans lesquels s’immergeait plus volontiers Lévesque.

La stratégie du Parti québécois consistait quant à elle à lever le voile sur l’enlisement des Québécois-es dans une situation qui, avançait-on, leur était défavorable. Éventuellement, on souhaitait suggérer à la population une voie d’accès à leur épanouissement : en l’occurrence, la souveraineté. Rebuté par le marketing politique, « confondant les mots stratège et stratagème », Lévesque a fait preuve d’une remarquable cavalerie vis-à-vis ses conseillers à certains points de sa campagne. Cette indiscipline aura peut-être constituée l’élément actif de son charisme. Le PQ est ainsi parvenu à déplacer d’immenses foules à l’occasion de divers rassemblements. À cet effet, le livre relate l’assemblée de lancement du PQ où 12 000 personnes s’entassèrent dans un aréna d’une capacité de 8000 personnes le 5 avril 1970.

En définitive, c’est la raison, et non le cœur, qui aura présidé au choix des électeurs-rices de 1970. Alain Lavigne est toutefois d’avis que « ce n’est jamais juste la communication qui explique tout ». La victoire de Monsieur Bourassa ne saurait ainsi se résumer strictement au plan de marketing de son équipe.

Comprendre hier, pour comprendre aujourd’hui

Au regard de la période électorale actuelle, Alain Lavigne souligne la contribution grandissante de la technologie de même qu’une cadence accélérée comparativement à la campagne de 1970.

Par ailleurs, il est d’avis que, d’une certaine façon, le « marketing n’a pas beaucoup changé ».

« Chacun des quatre partis semble bénéficier de bons conseils, en matière d’image, mais aussi de contenu. On a observé une professionnalisation manifeste de chacun d’entre eux : il s’agit de quatre partis professionnels, qui ont leurs ressources, qui découpent leurs éléments de contenu… » En outre, les sondages, qui ont vu leur importance s’accroître dans le contexte de 1970, permettent une lecture assez fidèle de l’opinion publique.

Le professeur mentionne également qu’à l’instar de 1970, quatre partis sont susceptibles de récolter chacun plus de 10% des voix. L’enjeu récurrent de notre mode de représentation lui apparaît être le pendant d’une telle situation.

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