Photo : Courtoisie Josep Renalias

Catalogne : les fondements d’une crise identitaire

La Catalogne a été la scène d’affrontements violents à la suite de son référendum d’indépendance. Si les irrégularités du processus et l’escalade de violence créent un certain malaise chez la communauté internationale, qui reste muette face à cette situation, le conflit qui fait rage en Espagne est ancré dans l’histoire du pays, et dans celle du Vieux Continent. Dossier.

Alors que les accrochages se font toujours fréquents dans une Barcelone brimée dans ses libertés individuelles, il est maintenant impossible d’y vivre sans ressentir les impacts des récents événements sur le quotidien.

C’est du moins ce que raconte Kelly Ruiz, étudiante au baccalauréat en études internationales et langues modernes à l’Université Laval, résidente de Barcelone depuis le 27 août dernier pour une période d’un an dans le cadre d’une année d’études à l’étranger.

Selon elle, « les opinions sont omniprésentes dans la capitale catalane ». En effet, les pancartes et les convictions exprimées à voix haute ne font maintenant qu’un avec le paysage urbain post-référendaire, à ses dires.

Inquiétudes

« Avec mes amis et collègues d’université, tout le monde disait avoir plus ou moins peur, parce qu’on ne savait pas ce qui allait se passer, indique-t-elle. Après on a vu que l’Espagne envoyait l’armée en Catalogne. Une vidéo montrait des tanks en route vers chez moi. »

Le campus de l’Universitat Autonoma de Barcelona est aussi un lieu d’intérêt pour l’expression de ses convictions politiques, où l’on voit notamment une quantité élevée de pancartes et de graffitis ayant ce même thème.

Néanmoins, le sentiment général semble orienté sur l’idée que l’issue du référendum n’est pas péjorative.

Kelly n’y voit d’ailleurs pas la fin du mouvement séparatiste, mais davantage « un commencement qui s’inscrit dans une succession plus grande d’événements ». Si René Lévesque avait été Catalan, « il aurait probablement dit à la prochaine fois », lance l’étudiante.

Remonter les racines linguistiques

D’abord une province de Rome dans laquelle l’empire fait pénétrer le latin, le territoire que l’on appelle aujourd’hui l’Espagne se divise alors en fonction des différentes variations linguistiques régionales. L’une d’entre elles deviendra évidemment l’espagnol, une autre, le catalan.

Après le mariage de Ferdinand d’Aragon et Isabella de Castille en 1469, les limites de leurs royaumes respectifs fusionnent, pour donner une carte qui rappelle fortement l’Espagne actuelle. La Catalogne sait croître à l’intérieur du royaume espagnol, jusqu’à la résolution de la guerre de succession espagnole en 1714.

À la suite de la mort du roi Charles II, l’absence de successeur est à l’origine d’un important litige. Ce qui fut auparavant le royaume d’Aragon, où se situe la Catalogne, et le reste de l’Espagne, chacun supporté par différentes puissances européennes en fonction de leur intérêt résultant du couronnement de l’un ou l’autre des candidats, se font la guerre.

Celle-ci mène au siège de Barcelone, et éventuellement, à la capitulation des Catalans le 11 septembre 1714. Par la suite, le catalan est banni comme langue dans tous les lieux d’influence public et complètement éradiqué de la documentation officielle. Près de deux siècles passent, non sans heurts entre la population catalane décroissante et les Espagnols.

La montée du sentiment nationaliste catalan

Au début du 20e siècle, alors que l’industrialisation bat son plein en Occident, l’Espagne fait l’expérience d’une renaissance culturelle, ce qui mène à un mouvement de relance de la culture et de la langue catalane. De cet intérêt recrudescent naît La Lliga Regionalista (Ligue régionaliste), un parti politique catalaniste dominant entre 1901 et 1923.

Celui-ci obtient en 1914 la création d’une administration publique en Catalogne. Elle est cependant démantelée et prohibée en 1925 pendant la première dictature espagnole de Miguel Primo de Rivera. C’est seulement en 1931 qu’une nouvelle tentative d’autodétermination du peuple catalan au sein de la seconde république espagnole est entreprise avec la création d’un gouvernement régional autonome. Le triomphe s’assoupit promptement en 1939, à l’issue de la guerre civile espagnole favorisant les nationalistes de Franco, alors opposés aux républicains.

La Catalogne, faisant à ce moment-là partie du deuxième groupe, est renversée. La dictature franquiste s’efforce alors de supprimer toute opposition politique, notamment incarnée par l’autonomie, la langue et la culture catalane. Les années suivantes sont caractérisées par les horreurs dictatoriales, l’abus de pouvoir et l’exécution de milliers de militants catalans.

Fin de la dictature et restauration de l’autonomie

Francisco Franco meurt le 20 novembre 1975, et avec lui disparait son régime. En moins de quatre ans renaissent les gouvernements régionaux, la Constitution espagnole, qui d’ailleurs, reconnait désormais l’existence de la communauté catalane au sein du pays, ainsi que le statut autonome de la Catalogne.

Malgré le fait que les 30 dernières années aient été le théâtre de plusieurs politiques d’adaptation visant l’atteinte d’un vivre-ensemble satisfaisant entre Espagnols et Catalans, les frictions sont néanmoins toujours actuelles, notamment en raison de la crise financière espagnole débutant en 2008, et d’un jugement rendu par le Tribunal constitutionnel en 2010 limitant l’autonomie de la Catalogne.

Ainsi, en 2014, un vote populaire révèle que 80% des Catalans seraient pour leur indépendance par rapport à l’Espagne. Les discussions qui suivent donnent lieu à la planification d’un référendum sur la souveraineté catalane le 1er octobre 2017, ce qui accentue les tensions avec le gouvernement fédéral. La tenue du vote est cependant suspendue par le tribunal et déclarée illégale, ce qui donne lieu à de violents affrontements entre les votants et les forces armées à l’entrée des urnes, et ultimement, des centaines de personnes blessées. Des 5,3 millions d’inscrits, 2,2 millions sont en mesure d’exercer leur droit de suffrage, ce qui donne à l’option séparatiste une victoire à 90,18%.

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