Photo : Élia Barbotin

Démocratie étudiante : les deux solitudes de la CADEUL

Les relations tendues dans les diverses instances de la CADEUL semblent atteindre un nouveau sommet, alors qu’André-Philippe Doré, étudiant à la maitrise en études anciennes, publiait en ligne la semaine dernière Bravo la CADEUL !, une « contre-histoire » critique de l’association. Cette publication survient à l’aube du second référendum d’affiliation à l’UEQ et après la parution de deux lettres ouvertes critiquant les mécanismes, mais aussi la culture associative de l’association de cycle.

Motivé par le fait de « laisser à la génération de futur-e-s membres de la CADEUL un document qui synthétise ce qu’est cette confédération, ce qui l’anime réellement et quelles sont ses dynamiques », le document d’une quarantaine de pages retrace la création de la confédération en 1983 et le litige entourant le premier référendum d’adhésion à l’UEQ.

L’auteur tente aussi de mettre en lumière la culture associative de la CADEUL à partir d’un mémoire de maitrise en anthropologie portant sur cette question datant de 1994. Il fait notamment état de différents cas de copinage, et d’une tendance qu’a l’exécutif d’utiliser largement son rôle d’orientation, non reconnu dans ses règlements généraux mais défini sur sa plateforme web, pour influencer le résultat des votes.

« Le caucus [des associations] est l’instance la plus problématique pour les projets de l’exécutif, car il a le pouvoir de décider pour toutes questions de nature politique. […]La nature de cette instance [entraine] deux comportements essentiels à la domination de l’exécutif : s’assurer de garder une quantité considérable d’associations à sa solde et tenter de faire passer des points litigieux au conseil d’administration plutôt qu’au caucus », dénonce Doré.

De son côté, la CADEUL rejette ces allégations, bien que le président Samuel Rouette-Fiset reconnaisse que le ton monte par moment dans les instances. « C’est un lieu d’échange. Ces échanges sont parfois vigoureux, mais on les espère respectueux. La vision de l’auteur de ce livre, on ne la partage pas. Je ne crois pas que d’utiliser la haine et l’appel à la mauvaise foi soit une manière judicieuse de régler les problèmes en société », soutient-il.

Des irrégularités multipliées

La publication du livre survient en plein lancement du deuxième référendum d’affiliation à l’UEQ, un contexte qui n’est pas anodin, compte-tenu la place qu’occupe la première tentative d’affiliation dans l’ouvrage. Le récit de Doré remonte jusqu’en 2014, à l’époque où les discussions s’entamaient dans les différentes associations afin de mettre la clé dans la TaCEQ et la FEUQ, deux associations nationales en perte de vitesse considérable depuis 2012.

Alors que la table des régions (qui deviendra plus tard l’AVEQ) se développait en parallèle devant leur manque de représentativité au sein des associations nationales déjà existantes, le Projet pour un mouvement étudiant (qui deviendra plus tard l’UEQ) se réunit une première fois à Québec en mars 2015. Après avoir nommé trois personnes sur la base de « défendre les intérêts du caucus » pour siéger sur cette instance, la CADEUL lui a octroyé un prêt de 15 000 $.

Les associations membres ont ensuite été invitées à nommer une personne pour siéger sur le comité de coordination. C’est Dominique Caron-Bélanger, une ancienne exécutante, qui a d’abord été choisie, avant que l’exécutif ne publie finalement un appel d’offre et décide de tout de même maintenir leur décision.

Les 18 et 19 avril, les associations campus de Chicoutimi, Rimouski, Trois-Rivières ainsi que les étudiant(e)s en sciences de l’éducation de l’UQAM décident de quitter le projet et de publier un « manifeste anti-FEUQ 2.0 ». Un rapport de cette rencontre lu en caucus en mai 2015, dénonçait des réunions secrètes où les dissidents étaient tenus à l’écart.

En novembre 2015, les étudiant(e)s de l’Université Laval sont consulté(e)s pour une première fois à propos de l’affiliation. Déjà, il était dénoncé à l’époque que la question ne portait que sur l’UEQ, alors que l’AVEQ était maintenant aussi une association constituée. Le camp du Oui était d’ailleurs piloté par des personnes qui seront élues sur l’exécutif de la CADEUL quelques mois plus tard.

Aux dires de Doré, des représentant(e)s du camp du oui ont loué des tablettes électroniques et ont circulé sur le campus pour faire participer les étudiant(e)s à la consultation. Il reproche notamment à Thierry Bouchard-Vincent, alors président, d’avoir accompagné ces-derniers. Malgré une victoire du non par 8 voix, une irrégularité informatique a invalidé le résultat du référendum. Des étudiant(e)s libres n’avaient pas pu exercer leur droit de vote pendant le tiers de la période.

Une culture associative

Il y a deux ans, l’ancien président de la confédération, Guy-Aume Descôtaux, avait été mandaté pour la rédaction d’un ouvrage dans le cadre du 35e anniversaire de la confédération. Ce livre est toujours attendu. L’attribution du contrat sans appel d’offres avait d’ailleurs beaucoup fait réagir en 2015.

« On a attribué le contrat de rédaction à quelqu’un qui n’est pas en sciences humaines ou sociales, qui n’avait pas une expertise là-dedans, déplore Audrey Paquet, une ancienne déléguée de philosophie. Guy-Aume Descôteaux aurait été un excellent intervenant à interviewer par une personne qui fait de la recherche. »

Cet exemple, bien que trivial, témoigne selon Audrey Paquet d’un problème de « culture » au sein de l’association. Celui-ci s’exprime aussi par une « tendance à être beaucoup plus près des autres associations que des regroupements progressistes ». Comme rien dans les règlements généraux ne force l’exécutif à prendre en considération les points de vue divergents, « les exécutant(e)s se transmettent les mêmes préjugés d’année en année ».

« Ils vont les voir, prendre des bières avec les représentant(e)s et gagnent leur confiance de cette façon. Ces personnes sont ainsi peut-être plus enclines à écouter ce que les exécutant(e)s de la CADEUL ont à dire et seront au courant plus rapidement, ce qui grossit le clivage. »

En 2015, deux anciens exécutants de la CADEUL, Rodolphe Giorgis et Maude Cloutier, avaient remis leur démission dans la foulée du premier référendum d’affiliation à l’UEQ. «Ils avaient des opinions divergentes et ne pouvaient les exprimer à l’intérieur de l’exécutif. Ils étaient bâillonnés. Cela ne favorise pas les échanges »

L’étudiante à la maitrise en philosophie croit que les échanges d’idées sont nécessaires au bon fonctionnement d’une association et que les critiques, bien qu’elles doivent être adressées avec plus de tact, ne doivent pas être prises de façon personnelle. « C’est plus par rapport à la culture et aux pratiques associées à leur poste qu’envers leur personne. Il y a certains individus plus raisonnables que d’autres dans leurs critiques, et ce sont ceux-ci qu’il faudrait écouter. Les insultes personnelles n’ont rien à faire dans la politique étudiante. »

Perspectives irréconciliables ?

Bien que le portrait puisse paraitre sombre, le climat à la CADEUL reflète celui de la société en général selon Paquet qui parle « d’un mépris généralisé envers les résultats et les recherches en sciences humaines, sociales, en lettres et en art ». L’attribution du contrat de rédaction du livre est selon elle est un exemple de ce mépris.

« Lorsque les représentant(e)s des associations plus progressistes parlent, on nie complètement leur expertise. Ce sont des personnes qui s’intéressent à des enjeux clés à l’intérieur de la condition étudiante comme la culture du viol, la lutte environnementale et les luttes anti-racistes. C’est comme si les autres fermaient leurs oreilles, ce qui fait en sorte qu’à l’inverse, celles-ci finissent par adopter un ton méprisant devant le refus systématique de leurs perspectives. La frustration entraine plus de frustration et tu te retrouves dans un cercle vicieux […], un dialogue de sourd. »

Cette situation est complexe, car ces enjeux touchent toutefois toute la population étudiante, qui est appelée à se prononcer. Ainsi, une personne adoptant une posture d’expert « avec tout un vocabulaire » pourra sembler méprisante. À l’inverse, l’impression de ne pas être écouté dans ses champs d’expertise par sa propre association de campus créé de la frustration

« Des fois, ils trollent beaucoup et ce n’est pas toujours la meilleure façon d’œuvrer et faire comprendre ses idées, concède Audrey. D’un autre côté, ils sont tellement peinturés dans un coin que cela semble la seule façon pour eux de s’exprimer et de faire réagir les autres. »

Beaucoup de questions soulevées

Cette attitude correspond à celle dénoncée dans la lettre ouverte Pour en finir avec la mauvaise foi, ce qui permet de penser qu’elle s’inscrit dans un processus plus large qu’une question de bonne ou mauvaise foi. C’est d’ailleurs la conclusion du livre Bravo la CADEUL ! qui invite à la concertation entre « dissident-e-s». « C’est par le filibusting, par le fait de semer la confusion dans le caucus, par une volonté de pointer toute la marde que faisait l’exécutif que nous avons jadis réussi à faire avancer un petit peu la cause de la justice sociale de l’Université », peut-on y lire.

Le mémoire de maitrise de l’anthropologue Éric Breton et les différents commentaires recueillis cette semaine corroborent par ailleurs les différentes dynamiques explicitées. Des tensions au sein des instances, un manque de transparence dans les processus et l’attitude arriviste de certaines personnes ont été soulevé plusieurs fois, par plusieurs personnes différentes, depuis la fondation de la CADEUL.

Le milieu associatif regorge d’ailleurs d’exemples de son effet tremplin vers la politique partisane, et des plus connus clichés révolutionnaires. Il y a certes des personnes qui gagnent à ce que des tempêtes soient montées de toute pièce dans des verres d’eau, et qui se laissent prendre au jeu politique dans la grande salle du conseil de l’Université.

Le milieu associatif regorge toutefois aussi de personnes dévouées à des idées, à des causes et à la condition de leurs camarades d’étude. Ceux-ci et celles-ci s’engagent pour des raisons diverses, mais partagent le fait de croire en un certain bien commun et d’engendrer des actions en ce sens. Si les perspectives se confrontent souvent, c’est d’abord et surtout dans le but de représenter adéquatement une masse étudiante peu mobilisée et trop souvent muette.

Toutefois, pendant que des pages s’écrivent sur le campus de l’Université Laval autour d’un second référendum, et que des cotisations sont enfouies dans la publicité afin d’en engendrer d’autres, les stages rémunérés, ou tout autre enjeu étudiant, continuent de stagner.

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