Photo: Julie-Anne Perreault

L’explosion du journalisme d’opinion

Le journalisme d’opinion fait partie du paysage médiatique depuis toujours. Ce type de journalisme est reconnu au même titre que le journalisme factuel. Depuis quelques années, les chroniques d’opinion se sont multipliées. Le journaliste peut y exprimer ses positions, mais certaines règles de déontologie doivent être suivies. Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.  

En consultant les journaux, le lecteur se rend rapidement compte que plusieurs chroniques d’opinion lui sont proposées. Les Richard Martineau, Claude Villeneuve, Antoine Robitaille chez Québecor ; Mylène Moisan, François Bourque au Soleil ; Yves Boisvert, Patrick Lagacé, Paul Journet à La Presse.

Il y a de cela 25 ans, il y avait bien peu de columnistes, tel qu’on les appelait. « Les chroniqueurs qui ont commencé à l’époque de Pierre Foglia, de Lysiane Gagnon, c’était une manière de rester dans le syndicat tout en faisant de l’opinion. Ça aidait certains lecteurs à se doter d’un langage de l’opinion », relate Dominique Payette, sociologue et professeure titulaire au département d’information et de communication de l’Université Laval.

Entre temps, les médias écrits ont connu des difficultés financières, notamment avec l’arrivée de Facebook, qui accapare un pourcentage important des dépenses en publicité des entreprises. C’est à ce moment que l’on assiste à l’explosion des chroniques d’opinion. « Plusieurs ne sont pas des journalistes à temps plein, des employés permanents. Ça fait l’affaire de l’employeur, car ça coûte moins cher. Et ça fait l’affaire du commentateur à qui ça apporte de la visibilité », explique Mme Payette.

Des règles à respecter

Le Conseil de presse du Québec reconnaît le journalisme d’opinion comme un genre journalistique, mais il doit respecter certaines normes. Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion […], et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. De plus, l’information qu’il présente doit être exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète (Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, point 10). « À la fin, le lecteur doit être capable de dire : moi, je pense que je ne suis pas d’accord, voici pourquoi. Tous les faits ont été présentés, pas seulement ceux qui font l’affaire du chroniqueur », analyse l’ex-journaliste de Radio-Canada.

À la lecture d’une chronique d’opinion, le lecteur doit comprendre que tous les éléments ont été examinés par le journaliste, car son raisonnement est explicite. « On ne peut pas tirer des conclusions à partir de faits changés. C’est difficile, car ça demande du temps », estime Dominique Payette.

Plusieurs chroniques respectent ces règles de déontologie, mais il y en a certaines qui peuvent induire le lecteur en erreur. Dans une récente chronique de Richard Martineau, on pouvait y lire : « Ainsi, 14 municipalités ont annoncé qu’elles ne respecteront pas la loi 21 sur la laïcité si jamais elle est adoptée telle que rédigée. […] Après le boycott de la loi 21, c’est quoi, la suite? Sous la gouverne de leur roitelet gonflé à l’hélium, certaines municipalités décideront unilatéralement de ne plus appliquer la loi 101 ou la loi sur la légalisation du cannabis? ».

Dominique Payette rappelle qu’à la lecture des chroniques d’opinion, le lecteur doit être en mesure de dire qu’un argument présenté par le chroniqueur est fondé et s’appuie sur des faits.

Un autre exemple d’une chronique d’opinion qui ne respecte pas toutes les règles de déontologie du CPQ est celle de Mathieu Bock-Côté. « Dans l’esprit de QS, conforme à celui de la gauche radicale, dans chaque société occidentale, Québec inclus, on trouve une majorité xénophobe qu’il faut brider pour l’empêcher d’écraser la majorité. […] Ainsi, Catherine Dorion a affirmé que QS devait mettre de l’avant un indépendantisme résolument antiraciste, laissant comprendre par là que le PQ se complaît d’une manière ou d’une autre dans le racisme, ou du moins, s’y montre indifférent ».

Dominique Payette ajoute toutefois un bémol aux chroniques d’opinion qui ne respectent pas toujours le code de déontologie du Conseil de presse du Québec. « Les journalistes doivent travailler vite aujourd’hui. Ça apporte des erreurs, on tourne les coins ronds. Est-ce qu’on peut écrire un texte intelligent chaque jour sur tous les sujets? Poser la question, c’est y répondre », résume l’auteure d’un rapport sur les radios d’opinion de Québec en 2015. 

Une demande du public?

Les médias s’adaptent en fonction des demandes du public et des chiffres qui sont rattachés aux articles. Au courant des dernières années, les médias ont cependant connu des difficultés financières. C’est possiblement une explication, parmi d’autres, de l’explosion des chroniques d’opinion. « Je ne crois pas que la population demande des choses, car la population n’est pas exigeante au niveau des médias. Ce sont des décisions de plus en plus commerciales », illustre Mme Payette.

Elle ajoute que dans la population, il y a un certain paradoxe. « On demande aux gens ce que les médias ne devraient pas faire par sondage. Parallèlement, le lectorat lit ce qu’ils demandent aux médias de ne pas faire ».

Comme le disait M. Péladeau père, les gens veulent lire du sang, du sport et du sexe. « Ce ne sont pas forcément les exigences journalistiques », déclare Dominique Payette.

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