Le Régiment de la Chaudière et les grands oubliés de l’Histoire

Dans la situation actuelle que nous connaissons tous et toutes, j’ai entrepris, cet été, de redécouvrir le Québec et ses richesses, région de la Capitale nationale incluse. Dans cette perspective, pourquoi ne pas se tourner vers Lévis ? C’est apparemment là qu’on peut apercevoir la plus belle vue panoramique du Vieux-Québec. Une fois établi que cette fin de semaine sera celle de la Rive-Sud, approfondissons le sujet, je ne prendrai pas la fin de semaine ni même une journée pour voir la vieille ville, alors après quelques recherches, je décide que ce sera le Musée du Régiment de la Chaudière. 

Par Jimmy Lajoie-Boucher, journaliste collaborateur

Un régiment encore bien actif
Je vous laisse imaginer quelle fut ma surprise lorsque j’ai non seulement appris énormément de détails sur le rôle qu’il a joué dans la Seconde Guerre mondiale, mais que cette participation était loin d’être leur dernière. Comme la plupart des gens que je connais, et pourtant je lis énormément sur l’histoire, je pensais qu’il était question d’un régiment créé pour le conflit 39-45, après quoi, il aurait été fermé. Eh bien non. Encore en Afghanistan, le Régiment de la Chaudière était de la partie, et personne n’en a parlé, pas même à Lévis. J’ai donc fait la découverte d’un régiment trop souvent oublié dans le présent, comme dans l’Histoire.

Une situation qui m’a sensibilisé à l’histoire
Je viens d’une famille décalée d’au moins une, voire deux générations. Mon arrière-grand-mère a eu ma grand-mère vers l’âge de 40 ans, et ma mère, c’est la petite dernière d’une fratrie de 5 enfants. Les deux dernières — ma mère et sa sœur —, sont venues après une pause d’environ 10 ans dans la construction familiale de mes grands-parents. Bref, mon arrière-grand-mère est née en 1891, je ne suis qu’un jeune trentenaire. Alors, vous comprendrez que des histoires du siècle passé, et même de celui qui le précède, j’en ai entendues. Alors, pour ceux et celles qui se demandent pourquoi je m’intéresse tant à l’Histoire, il doit y avoir un peu de cet héritage qui m’a été transmis.

La Musée du Régiment de la Chaudière
Lorsque je suis entré dans le musée, un homme était là pour accueillir les visiteurs. Comme nous faisons tous lorsque nous allons dans un lieu public, j’ai écouté ses directives, sans plus. Eh bien cet homme c’est nul autre que l’instigateur du musée*, le Capitaine retraité Éric Marmen, 38 ans dans la réserve de l’Armée canadienne. Une carrière prolifique dont on ressent une fierté cachée par l’humilité de sa personne. Il en est de même lorsqu’il nous partage le titre de Capitaine qu’il a acquis au sein de l’organisation. Monsieur Marmen a un profond respect pour le lieu, et pour cause. Le musée est empreint de l’histoire d’un régiment dont les exploits ne se comptent plus.

L’exposition a été inaugurée au mois de juin 2017 après une restructuration à laquelle le Capitaine retraité tenait qu’on y ajoute une cohérence entre tous les éléments. Auparavant, prétendre à une exposition à proprement dit était peu crédible, alors que maintenant, il est simple de s’y retrouver et de connaître le Régiment de la Chaudière de sa création jusqu’aujourd’hui « les objets étaient là pêle-mêle sans raconter concrètement l’histoire du Régiment de la Chaudière ».  Monsieur Marmen insiste d’ailleurs sur le fil conducteur historique. Eh bien ce fil conducteur, il en a fait l’élément central sur lequel il a concentré son projet et la source d’une fierté justifiée. Probablement par peur de se laisser emporter par une certaine excentricité, ce qui va à l’encontre du flegmatisme légendaire dont les militaires font preuve dans le cadre de leurs fonctions, du moins de façade, notre hôte est toujours serein, mais la passion qu’il dégage est manifeste et se lit dans son non verbal lorsqu’il nous parle de l’exposition et de son contenu.

Pour l’exposition qu’il a en grande partie érigée, il souligne que l’accent n’est pas mis sur les apparats militaires ainsi que le matériel « les objets militaires sont là en appui à la trame historique de l’exposition, ce qu’il n’avait pas avant  ». L’aspect historique est sans équivoque un impératif pour le Capitaine à la retraite. On dit qu’une police restera toujours une police — non pas dans le sens péjoratif que certains empruntent. D’une certaine manière, eh bien il semble en être autant pour les militaires. Difficile de sortir l’armée du militaire. Ce projet, Monsieur Marmen le présente avec une émotion qu’il sait transmettre, sans s’imposer, et sans faire dans le human interest. Le lieu n’a pas été conçu pour soutirer une larme aux visiteurs, mais bien pour faire connaître le régiment dont il est question, tout en passant sommairement sur l’histoire coloniale du pays. Cependant, le musée a pour vocation de mettre l’accent sur l’histoire du Régiment de la Chaudière et ses soldats. Et pour rebondir sur la neutralité que je voulais exprimer précédemment, l’exposition est effectivement basée uniquement sur des histoires réelles, racontées avec un ton serein, passionné, mais surtout respectueux. Ne connaissant pas mes intentions journalistiques, Monsieur Marmen est venu à ma rencontre lorsque je regardais, avec un certain étonnement, des objets nazis que le Régiment de la Chaudière a saisi au fur et à mesure qu’il avançait sur les territoires occupés par le 3e Reich d’Hitler — soulignons que ces derniers objets sont séparés dans une pièce en retrait de l’exposition principale, ce qui permet de rendre hommage aux militaires du régiment, qui les ont retirés des villes et villages qu’ils ont libérés sans leur donner un place centrale.

Ainsi, lorsque le Monsieur Marmen est venu à ma rencontre, il s’est approché de façon discrète et respectueuse comme si nous étions dans un sanctuaire ce qui, somme toute, est un peu le cas. Il me demande s’il peut m’aider, car je prenais beaucoup de photos dans cette pièce adjacente. Dans l’immédiat, il était possible de percevoir qu’il ne voulait pas que ma visite au musée soit ponctuée par l’attrait des objets nazis, et non seulement des objets nazis, mais en quelque sorte tous les objets en général — bien que j’imagine, et certainement avec justesse, qu’il veut encore moins qu’on focalise notre attention sur ces symboles. Ils sont là pour une raison — les objets du musée —, chacun d’eux. Mise au point sur les objets du 3e Reich : aucune photo de ces objets ne sera partagée dans ce texte. La raison est simple, ils sont là pour rappeler que des hommes et des femmes ont donné leur vie pour retirer les drapeaux ornés d’une svastika, de bâtiments des villes et villages qu’ils ont libérés, pas pour impressionner la galerie. Ce fait, transcende une photo, mais quand on regarde l’exposition proposée avec attention, et qu’on lit les histoires ou qu’on les écoute, c’est un fait qui s’impose.

Comme mentionné plus haut, les objets qui nous sont présentés racontent une histoire. Parfois, une histoire dans sa généralité — uniforme militaire du 17e et 18e siècle —, mais aussi et surtout, ils racontent l’histoire réelle d’un militaire. Ces histoires, Monsieur Marmen les connaît, et il les connaît toutes. Il s’arrête devant l’un de ces uniformes chargé de l’histoire d’un vétéran : « Cet uniforme-là appartenait à Monsieur Rosaire Arsenault, et son fils m’a contacté pour nous faire don de l’uniforme de son père. Le jour de l’inauguration, je lui ai montré l’uniforme en lui disant  “ voici votre père ! ”, il est tombé en larmes dans mes bras. J’en ai encore des frissons aujourd’hui ! » Ainsi, lorsque j’ai regardé à nouveau l’uniforme sur son mannequin, il prenait une toute autre signification. Cet uniforme, Monsieur Arsenault est débarqué en Europe le portant pour combattre la tyrannie. Voilà le rôle que les objets prennent en ce lieu.

La mission : Devoir de mémoire
Le Régiment de la Chaudière, malgré ses faits d’armes, est un grand oublié des livres d’histoire pour une raison qui m’échappe encore. Non seulement il représentait un régiment complètement constitué de francophones. Mais de grands héros tel que le Sergent Léo Major, qui à lui seul a libéré la ville de Zwolle aux Pays-Bas — ville occupée par la Wehrmacht —, avec un œil en moins, de surcroît, et plusieurs autres blessures. Pourquoi, commençons-nous seulement aujourd’hui, environ 75 ans plus tard, à connaître ses exploits, alors que, non seulement il est connu comme « Barabbas dans la passion » là-bas ? Il y a même des rues qui portent son nom, mais je n’ai pas la réponse à cette question.

Seulement, j’ai interviewé plusieurs vétérans de diverses guerres, et j’ai discuté avec nombre de personnes âgées ayant vécu plusieurs des grands bouleversements du 20e siècle, et tous, sans exception, sont dotés d’une humilité déconcertante. Seulement, dans ma tête de millénial, n’ayant pas servi dans une armée ni vécu sous une occupation, ou sur un territoire en guerre, il semble facile de tirer une telle conclusion. Par contre, en visonnant le film du général — et futur président des États-Unis — Dwight D. Eisenhower, qui a participé à la libération des camps de concentration sur le territoire conquis par l’Armée des États-Unis, j’ai été peiné de voir certains passages. Alors, être réellement sur les lieux, voir les inepties — euphémisme évident — aliénantes et concrétisées d’un psychopathe, la bêtise humaine à son paroxysme, devant les cadavres qui jonchèrent le sol empilés par milliers, l’odeur des usines à tuer, des gens maigres et affamés, peut-être que moi aussi je ne voudrais pas en parler. Aussi improbable que cela puisse paraître, jusqu’à présent, l’humanité « moderne » n’a jamais atteint un tel niveau de barbarie. Les conditions des captifs, qu’on peut constater dans le film susmentionné dans les camps de Sobibor, Bergen-Belsen, Mauthausen, Treblinka, etc. Je crois fermement que, même lors des croisades, ou même à l’époque des hommes préhistoriques, l’humanité ne s’était jamais rabaissée à ce niveau de méchanceté, de sadisme, de rudesse et d’ignominies, mais surtout, ne s’était jamais nourrie d’une ignorance crasse comme la propagande que l’époque a inculquée dans l’esprit d’une bonne partie de la population.

Le devoir de mémoire, mais de quoi ?
Pour ce qui est du Musée du Régiment de la Chaudière, j’ai demandé à Monsieur Marmen ce qu’il voulait qu’on retienne comme fait saillant, car le Régiment de la Chaudière a une histoire séculaire. Plus précisément, quelle était sa mission en mettant sur pieds une telle exposition : « En contact avec des anciens combattants, j’ai été 38 ans dans l’Armée canadienne… j’aimerais qu’il n’y ait pas d’armée, mais il reste que ces hommes-là ont libéré des gens en Europe. Ils sont revenus meurtris et ils sont morts avec leurs souffrances ! Il n’y avait pas d’aide dans ce temps [sic]. Alors, pourquoi j’ai fait tout ça ? C’est pour eux, pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli ! » Je crois que ces derniers mots forment une fin parfaite et en cohérence avec les visées de cet article.

À préciser, la Seconde Guerre mondiale est le conflit majeur auquel le régiment a participé, mais depuis plus d’un siècle, et encore aujourd’hui, le Régiment de la Chaudière fait rayonner la réputation de l’Armée canadienne à travers le monde, et ce, surtout dans des missions de maintien de la paix, abstraction faite de la guerre en Afghanistan.

*Monsieur Marmen tenait à souligner l’aide inestimable que la Ville de Lévis a apportée au Musée du Régiment de la Chaudière, et plus personnellement, Monsieur Lehouillier, maire de la Ville de Lévis « il a apporté une contribution remarquable dans la mise au point de cette exposition ».

Crédits photos : Jimmy Lajoie-Boucher/Musée du Régiment de la Chaudière

 

 

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