Le sentiment d’appartenance

La saison 2007 de baseball des Indians de Cleveland a été marquée par un événement sortant quelque peu de l’ordinaire. Mis à part leur défaite en finale de la Ligue américaine face aux futurs champions bostonnais, les spectateurs ont vécu tout un émoi lorsque l’étoile de basketball local, Lebron James, leader des Cavaliers de Cleveland, a arboré une casquette des Yankees de New York, au cours d’un affrontement entre les deux équipes. Ni une, ni deux, les lignes ouvertes radiophoniques dédiées au sport ont été submergées de plaintes d’amateurs outrés par un tel comportement. En effet, Lebron James est l’icône sportive de Cleveland et l’un des meilleurs basketteurs du monde, il est donc facilement compréhensible que certaines personnes aient pu êtres choqués par cette partisanerie mal placée.

Cette affaire soulève une question primordiale dans le sport: le sentiment d’appartenance. Autant il ne fait aucun doute que les amateurs sont attachés à leur ville, autant il en est tout autrement lorsqu’il s’agit de définir l’attachement d’un joueur à son équipe d’adoption. Plusieurs facteurs peuvent motiver un athlète à choisir une ville: sa notoriété, sa culture de la victoire, ses partisans, sa beauté. Mais, il ne faut pas se leurrer, la plupart du temps, les joueurs sont attirés par les avantages financiers proposés par les organisations. Par exemple, Samuel Eto’o, joueur de soccer camerounais de Barcelone, a failli accepter une offre émanant d’une obscure équipe ouzbek cet été. Sans vouloir dénigrer l’Ouzbékistan, il me semble que cette destination est loin d’être très sexy, sportivement parlant. Oublions aussi les innombrables joueurs qui choisissent le championnat qatarite pour remplir un peu plus leur compte en banque.

Les sportifs jetables
Dans une société où tout va très vite, la consommation est l’image de cette société: rapide et jetable. Lorsque l’on n’aime plus un produit, on le jette à la poubelle ou au recyclage. Dans le sport, c’est la même chose: les contrats sont de plus en plus flexibles et précaires. Les joueurs aux calibres moins élevés peuvent ainsi signer des contrats allant d’une dizaine de jours à quelques mois, pour les plus chanceux. Comment voulez-vous qu’un joueur ayant évolué dans quatre équipes différentes en deux saisons, puissent se sentir appartenant à une organisation ou à une ville? Son réflexe premier sera de séduire l’encadrement de l’équipe pour continuer à pratiquer son métier. Peu importe que ce soit dans une ville X ou Y, il faut qu’il joue.

Les amateurs pointent aussi du doigt le peu de sportifs locaux évoluant au sein de leur équipe. N’a-t-on pas souvent entendu les partisans montréalais se plaindre du peu de francophones jouant pour les Canadiens? En Europe, l’entrée en vigueur de l’arrêt Bosman durant la saison 1996-97 a autorisé aux clubs d’engager autant de joueurs de l’Union européenne qu’ils le souhaitent. Cette décision a changé totalement le paysage sportif européen et a créé une perte d’identité régionale et nationale des clubs.

Théoriquement, il est important pour un sportif de se sentir lié à une équipe. Mais les décisions juridiques et l’évolution économique du sport professionnel, ont rendu les athlètes égoïstes et enclins à choisir une organisation en fonction de leurs intérêts financiers ou carriéristes, plutôt que de leurs valeurs ou origines. Même l’opportunité de remporter un titre ne fait plus partie des priorités des sportifs.
 

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