Quand l’Ogre se fait manger par le Petit Poucet

Schirrhein? J’imagine que vous ne connaissez sûrement pas ce petit village perdu dans le nord-est de la France, en Alsace plus précisément. Seuls les plus avertis des Alsaciens ont eu vent, un jour, de l’existence de ce petit bourg comptant un peu plus de 2000 habitants. Et pourtant, le club de football bas-rhinois est en train de créer tout un émoi en France, puisqu’il s’est qualifié le 3 janvier dernier pour les seizièmes de finale de la Coupe de France, aux dépens de Clermont, club professionnel de deuxième division. Un exploit retentissant, sachant que Shirrhein est un club amateur évoluant au meilleur niveau départemental, c’est-à-dire cinq divisions en dessous de Clermont. À nouveau, une belle histoire où David mange le géant Goliath, une preuve encore que l’abnégation d’un groupe d’individus soudés peut renverser une organisation sportive dont le capital financier est supérieur à celui de la ville au complet.

En Angleterre, Manchester United, champion du monde des clubs depuis peu, champion d’Europe en titre et équipe qui compte en son sein le meilleur joueur du monde, Cristiano Ronaldo, a perdu sa demi-finale aller de la Carling Cup face à un club de deuxième division anglaise, Derby County. Qui aurait parié sur une telle victoire? Peu d’observateurs, même si les joueurs majeurs de ManU ont été laissés sur le banc une bonne partie de la rencontre. Cette victoire insoupçonnée prouve encore une fois que n’importe quelle équipe est capable de se sublimer sur une partie et de créer la surprise.

Samir Ghrib, l’entraîneur-chef du Rouge et Or soccer, ne dira pas le contraire, puisqu’au cours de la conférence de presse présentant le match qui opposera son équipe à l’Impact de Montréal, il a affirmé que «sur un seul match, dans n’importe quel sport, n’importe quelle équipe peut battre n’importe quelle équipe.» Les deux évènements précédemment cités ne peuvent que le conforter dans ses croyances et lui permettre de nourrir des espoirs réels en la bonne performance des siens. Rien qu’un match nul serait un exploit, étant donné la différence de calibre entre les deux équipes. Les joueurs du Rouge et Or, ne l’oublions pas, sont des étudiants comme vous et moi. Ils ne sont donc pas obnubilés par le soccer, mais bien par leurs études, comme les joueurs de Schirrhein le sont par leurs jobs respectives. Cette différence d’occupation de l’esprit est abyssale lorsque l’on analyse les motivations de chacun : entre le hobby et le métier, entre la passion et le compte en banque.

Quitte à tomber dans les clichés quétaines, il est clair que lors de telles rencontres, le cœur et la motivation que les petits poucets mettent à l’ouvrage font souvent la différence. Mais comment pointer du doigt les favoris lorsqu’ils versent dans l’excès de confiance? C’est une réaction humaine qui est justifiée par leur talent, leur qualité technique et tactique, maintes fois travaillée à l’entraînement, et surtout leur salaire faramineux. Pourtant, le piège est connu et se répète chaque année un peu partout sur la planète. Mais les professionnels ne seront jamais à l’abri de mauvaises surprises, et c’est tant mieux. Tout le monde aime les belles histoires où les petits mangent les plus gros, ou quand la loi du plus fort n’est plus respectée. Ce genre de situation permet de propulser en haut de l’affiche des citoyens «ordinaires», des ouvriers, des employés de bureaux, des étudiants, qui n’ont rien d’exceptionnel, mais qui peuvent devenir des héros l’espace d’un match. Et c’est bien ça qui fait la beauté du sport.

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