Nos bibliothèques ont assez de livres, c’est le ministre de l’Éducation Yves Bolduc qui l’a dit. Sous peu, le Québec va aussi apprendre que ses régions ont assez de culture. Cinq des sept conservatoires de musique risquent de fermer leurs portes en juin prochain. Il resterait alors ceux de Montréal et de Québec.
Selon la direction du Conservatoire, il y aurait un déficit d’environ 14 millions de dollars et la solution proposée est de couper dans les enseignements des écoles situées en région. Les établissements concernés sont donc ceux de Rimouski, Val-d’Or, Gatineau, Saguenay et Trois-Rivières. La ministre de la Culture, Hélène David, a qualifié ces fermetures de rumeurs, mais ne les a toutefois pas démenties.
Bien sûr, s’il y a bel et bien des fermetures, il y aura toujours la possibilité d’aller étudier la musique dans des institutions privées. Le domaine des arts dramatiques est un peu moins touché, car seuls les conservatoires de Montréal et de Québec offrent ces formations. L’enjeu ici est donc l’accessibilité. Le Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec offre des formations de qualité et demeure publique, donc plus abordable pour tous.
Si ces fermetures se concrétisent, à compter de juin, toute personne qui s’intéresse à la musique et qui est loin des grands centres devra soit y renoncer, soit y mettre le prix. Doit-on privatiser l’art pour sa propre survie en région? Les détracteurs du monde rural prétendent généralement que nos campagnes manquent de culture ; mais est-ce qu’il faut leur donner les moyens de la faire rayonner, ou doit-on plutôt rapatrier les artistes dans les grands centres? Les questions sont lancées.
Amélie Laprise, finissante du Conservatoire d’art dramatique de Québec en 2013, croit qu’on devrait tout faire pour sauver les établissements situés en régions. « Au Canada, la culture à l’air d’un fardeau », reproche-t-elle. Les arts ont toujours le défaut d’être difficilement quantifiables et, dans un monde capitaliste, tout est quantifié en fonction de l’utilité, ou du moins d’une certaine utilité : celle de la rentabilité. Oui, il est bien clair qu’il y a un déficit, mais est-ce que fermer les écoles est la seule solution envisageable?
Dans son village d’origine, à Sainte-Apolline-de-Patton (au sud de Montmagny), il y avait peu ou pas d’accès à la culture. Amélie Laprise explique qu’avant ses premiers cours d’art dramatique, elle se sentait à part, que les distractions se limitaient à la chasse, le plein air, l’alcool et autres drogues. C’est dans un cours d’art dramatique en secondaire 4 qu’Amélie a enfin trouvé sa voie. Elle a par la suite étudié à La Pocatière, du temps où le DEC d’Arts et lettres, profil théâtre s’y donnait encore. Pour Amélie, La Pocatière, c’était une transition plus douce quand on vient d’un petit village que d’aller directement à Montréal. Au début, elle n’en parlait pas beaucoup à sa famille, par peur de ne pas être comprise. Tout comme d’autres domaines, l’art est souvent discrédité et rangé au rang de distractions.
Amélie Laprise défend l’art un peu comme le fait souvent Boucar Diouf, pour le bien de la diversité, en ce sens qu’il faut avoir de la musique, de l’art dramatique, mais tout autant des mathématiques, de l’histoire, des cours d’économie, etc. On gagne collectivement à cultiver une société diversifiée. Les arts sont aussi une porte vers la sensibilité, peu valorisée en général de nos jours.
Il serait bien naïf de penser que chaque village va se « Fred Pelleriniser » sans l’aide de nos gouvernements. Si les conservatoires disparaissent des régions, on peut s’attendre à un exode encore plus fort, et les régions se vident déjà depuis années. Les fermetures ne sont pas encore officielles, mais elles semblent inexorables jusqu’à maintenant. Il faudra alors d’autres moyens pour former les étudiants en région. Le manque de culture n’est pas fatal pour l’individu, mais il l’est certes pour la société. Notons qu’avant les dernières élections, il y avait eu un débat sur la culture, sachant d’avance qu’il n’en serait pas question au cours du débat officiel. Ce même débat où les politiciens ont évité presque complètement trois sujets: l’éducation, la culture et l’environnement.