L’égalité hommes-femmes dans le monde du travail reste toujours sujette au fameux « plafond de verre » qui limiterait l’accès des femmes aux postes de décision et à responsabilité. Mais en 2015, où en est-on ? Entrevue avec Monique F. Leroux, première femme à occuper le poste de présidente et chef de la direction chez Desjardins.
Marion Racine
Mme F. Leroux, croyez-vous qu’il y ait des différences entre le leadership d’un homme et celui d’une femme ?
De façon générale […], vous allez trouver chez les collègues masculins une sorte d’audace et de gestion des risques qui est différente de celle des collègues féminines, qui seront en général un peu plus prudentes et dont la gestion des risques sera un peu plus conservatrice. Ce qui change, c’est la dynamique autour de la table. Le partage des pouvoirs et la gestion d’une réunion ne se passent pas de la même manière si vous avez un groupe de femmes ou un groupe d’hommes.
Le pourcentage de femmes dans les postes de direction ou au conseil d’administration des grandes entreprises canadiennes stagne ou augmente très lentement, et ce, malgré le fait que la majorité des diplômés universitaires soient des femmes. Croyez-vous que les femmes s’imposent elles-mêmes des limites ?
Il n’y a plus d’arguments selon lesquels on serait incapables de trouver des femmes d’expérience. Un autre argument, c’est que cela prend quelques exemples. Si en ce sens, j’ai pu aider à la cause, j’en suis très contente. Quand on a un poste d’influence, on a une responsabilité d’agir selon nos convictions. Moi j’encourage les femmes, les filles, non pas à avoir une confiance démesurée, mais à développer une confiance avec un peu d’humilité et beaucoup de convictions. Très souvent, c’est une question d’audace, de dire : « bon, je vais saisir l’opportunité et prendre le risque ».
Vous avez une fille et vous êtes mariée. Pensez-vous que la conciliation travail-famille est plus exigeante pour les femmes ?
Il faut être bien organisée et se connaître, être en mesure de déterminer ce qui est important pour nous. Une des choses qu’on a accepté tous les deux de faire, c’est se dire que c’était important pour nous d’adopter Anne-Sophie. On ne voyait pas notre vie sans une famille. Mon conjoint voyageait beaucoup et j’avais une carrière assez exigeante, alors on s’est organisé pour avoir une vie à la maison relativement stable. C’est une question de choisir où mettre nos priorités. Marc et moi, on est vraiment une équipe. À un certain moment, c’est moi qui le supportais ; au cours des dernières années, c’était plutôt lui… La décision de la présidence de Desjardins, c’était une décision familiale, on ne peut pas prendre cette décision seule.
Est-ce que c’était quelque chose que vous envisagiez déjà sur les bancs d’école d’un jour gravir les échelons d’une entreprise ?
Je ne suis pas une personne qui fonctionne aux postes et aux titres. J’ai toujours pris part à des projets dans lesquels j’avais un intérêt et un sentiment que je pouvais contribuer. Je ne me suis jamais fait de plan de carrière. À la fin de mes études, je me suis posé cette première question : quel est l’endroit où je peux faire le meilleur stage ? J’avais le sentiment que je devais apprendre. Deuxième question : qui sont les personnes que je rencontre en qui j’ai confiance et qui vont m’aider à faire un meilleur travail ? Après ça, quand j’étais chez Ernst & Young, cela a été toujours un peu la même démarche pour les mandats que j’ai faits ensuite.
Qu’est-ce qui caractérise, à vos yeux, la jeune génération et quels seront, à votre avis, les défis qu’elle devra affronter ?
Quand je regarde cela, je pense aux 18-25 ans dans les pays industrialisés. Je crois qu’on est dans un monde qui est en train de se transformer. De ce côté-là, je vois de très belles opportunités. Entre autres, je vois moins de barrières discriminatoires entre les hommes et les femmes. Par ailleurs, ce n’est pas facile de pouvoir s’ancrer à quelque chose, d’où l’importance de bien identifier dans notre entourage les gens qui peuvent venir nous aider. […] Ce serait un conseil que je laisserais : parfois aller chercher l’aide d’un mentor, accepter le conseil, aussi. Avoir l’ouverture d’écouter.
Que pensez-vous que votre génération a apporté aux générations de femmes plus jeunes ?
Comme nous sommes encore un peu en hiver, j’aurais tendance à faire une analogie avec le ski de fond. C’est un peu plus d’efforts pour les premiers qui passent, mais les traces sont là. Aujourd’hui, elles permettent à certaines de les skier encore plus vite et facilitent celles qui veulent en créer d’autres.
Pour cette nouvelle génération de femmes qui avancent en suivant vos traces, vous représentez un modèle. Et vous, qui est votre modèle féminin ?
Mon premier modèle, honnêtement, a été ma mère. Je la consulte régulièrement pour avoir son opinion. Elle me connait bien et je n’ai pas toujours fait ce qu’elle m’a dit, mais j’aime avoir son opinion. Ensuite, il y a toutes sortes de personnes. J’ai le bonheur d’avoir un conjoint, ma fille, aussi. Les plus belles choses de la vie, ce sont les personnes qui nous entourent.
Entrevue réalisée par le comité Question de genre.